Célèbre au Japon pour avoir illustré de nombreuses œuvres littéraires, le mangaka est un auteur aux multiples talents.
Tomber sur une nouvelle œuvre de Maki était comme ouvrir une porte sur un nouveau monde”. C’est en ces termes que Murakami Haruki exprime son amour pour Sasaki Maki, mangaka inclassable, dont le travail a consisté à repousser les frontières de la bande dessinée japonaise tant du point de vue de la forme que du fond. Ce n’est donc pas un hasard si celui-ci commence sa carrière dans les colonnes du mensuel Garo. “Il en émanait un je-ne-sais-quoi, une liberté qui m’a tout de suite parlé”, raconte-t-il dans un entretien accordé à Léopold Dahan et publié à la fin de Charivari !, recueil de ses œuvres parues entre1961 et 1987 que l’excellent éditeur pictavien Le Lézard noir vient d’ajouter à son déjà conséquent catalogue des grands noms de l’art mangaesque. Aurait-il pu en être autrement ? A l’époque, seul ce magazine, créé par Nagai Katsuichi en 1964, semblait en mesure d’accueillir un auteur qui voulait exprimer sa différence. D’autres mangaka comme Katsumata Susumu ou Tsuge Yoshiharu s’y exprimaient et ils étaient justement parmi les artistes que Sasaki Maki admirait le plus.
C’est dans le numéro 39 de Garo, en novembre 1967, que paraît Un rêve au paradis (Tengoku de miru yume). Dans ce premier essai inséré entre une histoire signée Hayashi Seiichi se déroulant en enfer et une autre de Tsurita Kuniko, dont il loue le talent, se passant dans un asile, il montre son désir de réinventer le genre. Il n’est pas question pour lui de suivre les règles en vigueur notamment du point de vue de la narration. Après tout, d’autres secteurs culturels, comme le cinéma, ont connu de telles remises en cause. Sasaki Maki est en phase avec l’époque et propose aux lecteurs de Garo une autre façon de concevoir le manga. Tel un compositeur, il met en place une partition où les notes de musique incarnées par des cases aux motifs indépendants les uns des autres finissent par créer un ensemble cohérent dans lequel il exprime sa vision du monde. Celle-ci n’est pas rose, loin de là. On devine derrière ses dessins une forme de colère à l’égard de la société qui l’entoure. En cela, il rejoint bon nombre des collaborateurs du magazine que ce soit les dessinateurs ou les autres contributeurs comme Ueno Kôshi qui s’occupe de la rubrique “boîte à idées” (meyasubako) de Garo. D’ailleurs, le texte qui paraît dans le numéro où est publié le premier manga de Sasaki porte sur le “non-sens”.