Wakamatsu Kôji, qui n’avait que 34 ans à l’époque, était déjà un vétéran, ayant réalisé 17 films en sept ans. Son mélange controversé de films “roses”, de violence et de politique de gauche radicale a réussi à attirer et à repousser le public. Son Fou de Shinjuku est sorti à un moment où le mouvement dissident se radicalise avec plusieurs groupes d’étudiants qui semblent plus intéressés à se battre entre eux que contre l’establishment. Wakamatsu utilise l’histoire d’un père en deuil qui cherche les tueurs de son fils pour s’en prendre à ces groupes radicaux qui, en dépit de leur idéologie de gauche, finissent par reproduire l’attitude oppressive de l’Etat envers l’individu. Quand, après avoir parcouru les rues de Kabukichô, le père retrouve Shinjuku Maddo (l’homme responsable de la mort de son fils), ce dernier lui dit que la révolution est juste un mot vide et qu’elle doit être faite pour son propre intérêt. Son groupe ressemble d’ailleurs plus à une bande de voyous qu’à une unité révolutionnaire.
Puisqu’on évoque les gangs, la fin des années 1960 a vu l’émergence d’un nouveau genre très différent des films traditionnels de yakuza, car ils mettaient en vedette des actrices. Stray Cat Rock: Female Boss en est un excellent exemple. Bien que son réalisateur Hasebe Yasuharu ait dit qu’il avait été inspiré par les activistes qui se rassemblaient près de la sortie Ouest de la gare de Shinjuku (il est allé jusqu’à inclure quelques chansons de protestation dans la bande son), les protagonistes sont plus intéressés par les guerres de territoire que par le combat contre le Traité de sécurité américano-japonais ou l’escalade du conflit au Vietnam. Presque pour souligner la différence avec les films d’Ôshima et de Wakamatsu, tournés principalement du côté Est de la gare, le film de Hasebe met en évidence la partie Ouest où le centre de traitement des eaux de Yodobashi juste fermé va rapidement être remplacé par une forêt de gratte-ciel (voir p. 9). Ce film a été conçu comme une vitrine pour la chanteuse prometteuse Wada Akiko, mais il a surtout lancé la carrière d’actrice de Kaji Meiko. La série Stray Cat Rock a fait d’elle une star.
En ce qui concerne le mouvement de protestation, la plupart des factions étudiantes ont peut-être été vaincues, mais un groupe de radicaux a refusé de baisser les armes. Ils ont remplacé les pierres et leurs longues barres de fer par des fusils et des bombes. Ils sont entrés dans la clandestinité et sont devenus des terroristes. En 1972, Wakamatsu, toujours avec l’aide de son ami et scénariste Adachi Masao (voir p. 16) a apposé un sceau cinématographique sur cette période unique avec un film qui n’a pas manqué de polariser la société japonaise. L’Extase des anges (Tenshi no kôkotsu) commence par une attaque contre un dépôt d’armes américain par un groupe révolutionnaire et qui va continuer de courir tête baissée vers sa fin apocalyptique. Entre les deux, le groupe est déchiré par la trahison, la paranoïa de ses membres, les conduisant à se battre les uns contre les autres. La scène finale, où les terroristes survivants parcourent les rues de Tôkyô pour poser leurs bombes, est l’un des moments les plus puissants et les plus inoubliables de Wakamatsu (et de la Nouvelle Vague japonaise). Le film est devenu très controversé lorsque le poste de police de Shinjuku, pris pour cible dans le film, a fait l’objet un peu plus tard d’un véritable attentat la veille de Noël de la même année. Wakamatsu Kôji a alors été accusé d’encourager le “terrorisme aléatoire”. En fin de compte, seul l’Art Theater Shinjuku Bunka, situé à quelques mètres du poste de police visé par la bombe, a projeté le film.
Jean Derome
A noter
Suzuki Seijun. Splendor Films propose depuis le 28 mars une rétrospective du cinéaste avec 6 de ses films parmi lesquels La Marque du tueur.
Stray cat rock. De son côté, Bach Films annonce pour la mi-juin la sortie de 10 films cultes dont l’intégrale des 5 films de la série avec Kaji Mieko.