Cependant, le cinéma n’était pas le seul centre d’intérêt pour le jeune Yomota. En 1968, alors qu’il était en première année au lycée, il a été attiré par la révolution chinoise. “A cette époque, je lisais comme tout le monde le Petit Livre Rouge de Mao Zedong,”, raconte-t-il. “J’appartenais au club de kendô de l’école, et mon oncle me disait : “Tu es un samouraï, et c’est ton devoir de défendre la société”. Par conséquent, quand j’ai entendu ce que les gardes rouges faisaient à Pékin, je me suis dit qu’il était de notre devoir au Japon de suivre leur exemple, de ressusciter l’esprit samouraï et de faire une révolution. Parce que vous voyez, l’ethos samouraï n’est pas seulement un élément d’extrême droite. Vous pouvez être un samouraï et un marxiste révolutionnaire en même temps. Aujourd’hui, il est facile de me qualifier de naïf, mais à ce moment-là, je croyais fermement en ces idées.”
A cette époque, les étudiants s’étaient déjà lancés dans la démarche. Ils portaient des casques et se battaient dans les rues contre la police. Alors Yomota Inuhiko a rejoint la lutte, même s’il était encore au lycée. “C’était difficile pour moi de suivre ce chemin parce que je vivais toujours avec ma mère, qui n’était visiblement pas satisfaite de mon attitude, de mes longs cheveux et de mes lunettes de soleil. Elle pensait que j’étais sous une mauvaise influence et que j’étais devenu un délinquant. Il a donc fallu que je me batte sur deux fronts. Finalement, je suis devenu un membre du Zenkyôto (Conseil de lutte inter-facultés) de mon école, un groupe qui s’opposait à la guerre du Vietnam, et qui était souvent dans les rues pour protester et lancer des pierres. Puis, en 1969, nous avons organisé le blocus de notre école, mais cela n’a pas abouti. A la fin, ma situation est devenue intenable et j’ai décidé de quitter le lycée. Après avoir lu Karl Marx, j’étais maintenant convaincu qu’ayant grandi dans une famille bourgeoise, je devais rejoindre le prolétariat. J’ai donc commencé à travailler dans une fabrique de gâteaux. Je me souviens que je gagnais 1 000 yens pour une journée de travail de 8 à 10 heures. Il y avait beaucoup d’autres jeunes du même âge qui travaillaient là-bas. Ils venaient surtout de familles pauvres et avaient quitté leur province pour Tôkyô à la recherche d’un emploi. J’ai essayé de m’intégrer, mais j’ai finalement réalisé qu’il existait un écart énorme entre nous. Non seulement je doutais de pouvoir survivre avec un si bas salaire, mais il était évident que nous appartenions à des mondes très différents. Pendant la pause, par exemple, je lisais un livre alors qu’ils préféraient parler de femmes et de jeux d’argent. Cette prise de conscience m’a amené à remettre en question mon rêve de rejoindre la classe ouvrière. J’ai compris que c’était irréaliste. Pendant ce temps, ma famille était intervenue auprès de mon école qui a finalement accepté de me reprendre.”
En 1972, Yomota Inuhiko fait son entrée à l’université, mais à ce moment-là, il a déjà perdu ses illusions sur la politique – en raison notamment du factionnalisme qui imprègne le mouvement étudiant. “Sur chaque campus, vous aviez littéralement une zone contrôlée par le Kakumaru-ha, une autre par la Kyôsandô (ligue communiste) et une troisième par la Minsei Dômei (Ligue de la jeunesse démocratique)”, se souvient-il. “Quand vous étiez “Nonpori” (littéralement “non politique”), c’est-à-dire neutre, vous pouviez circuler librement sur le campus et aller partout où vous vouliez, mais si vous apparteniez à une certaine faction, vous n’étiez pas autorisé à aller – et même, vous n’osiez pas aller dans les zones “tenues par l’ennemi”. En ce qui me concerne, j’étais complètement plongé dans l’univers du cinéma et je ne me souciais plus vraiment de ces choses, mais bien sûr, je ne pouvais pas ignorer ce qui se passait autour de moi. J’ai été vraiment choqué quand deux de mes camarades ont été tués.”