C’est à cette période que vous avez créé le club d’études cinématographiques à l’université en compagnie de Jônouchi Motoharu et Okishima Isao, n’est-ce pas ? Et un peu plus tard le Centre de recherche cinématographique VAN ?
A. M. : Oui, quand mes camarades plus âgés et moi avons décidé de créer notre studio indépendant, nous avons trouvé une maison à Kunitachi, mais c’était trop loin de l’action. Nous nous sommes finalement installés à Ogikubo, à proximité de Shinjuku. Il y avait Jônouchi, Kanbara, Asanuma, Kawashima et moi. Nous avons tous vécu dans cette maison et travaillé sur nos films. Nous avions tout ce dont nous avions besoin. Nos amis (Ono Yôko, Akasegawa Genpei, Kazakura Shô, etc.) vivaient dans le coin. Le lieu était toujours plein de monde. Même Terayama Shûji empruntait parfois notre salle de montage. En raison de nos soucis financiers et d’autres problèmes, nous nous sommes progressivement éloignés les uns des autres. Je suppose que nous avons arrêté de faire des films en groupe vers 1967. Heureusement, un peu plus tôt, j’avais rencontré le réalisateur Wakamatsu Kôji dont je suis devenu le scénariste régulier (voir p. 14).
Au cours de ces années, plusieurs autres groupes faisaient aussi des films expérimentaux et avant-gardistes. Y avait-il des différences majeures entre vous et eux ?
A. M. : Du point de vue du contenu, nous partagions plus ou moins la même vision artistique. La différence principale était que dans les autres groupes, chaque travail appartenait à une seule personne. Il pouvait obtenir l’aide des autres membres, mais c’était son film. Au sein de VAN, au contraire, nous avions toujours présenté nos films comme un effort collectif, même si l’on désignait un responsable par projet. Tous les membres participaient au film, peu importe leur rôle. Nos œuvres étaient des productions strictement indépendantes et nous ne voulions rien avoir à faire avec le système commercial. C’est pourquoi nous n’avons pas recherché de profit à travers les projections de nos réalisations.
Vous avez passé beaucoup de temps à Shinjuku ces années-là. Comment était le quartier à l’époque ?
A. M. : Il était encore assez peu développé. Aujourd’hui, c’est un quartier plein de grands bâtiments, mais au milieu des années 1960, il n’y en avait que quelques-uns. Entre la sortie Est de la gare et Golden Gaï où nous avions l‘habitude d’aller boire, il y avait beaucoup d’espaces ouverts. Les gens marchaient régulièrement au milieu de la rue parce que les voitures étaient relativement rares. C’était un temps où le tramway était encore un moyen de transport clé.
Ce devait être une période excitante et effrayante, avec toutes ces batailles que se livraient les étudiants et la police autour de Shinjuku.
A. M. : C’était assez chaotique. En tant que vétéran des premières manifestations anti-Anpo en 1959-1960, j’avais peur que cette nouvelle lutte se solde par un échec de la même manière que notre combat n’avait pas empêché le Premier ministre Kishi de signer le Traité. J’ai donc essayé de participer, en rejoignant les étudiants de l’université sur les barricades, en participant aux discussions et en parlant de mon expérience passée. J’étais un peu sceptique parce que je pouvais voir ces jeunes rebelles faire les mêmes erreurs. En outre, leur mouvement s’est rapidement désintégré en de plus petites factions plus promptes à s’affronter entre elles qu’à s’en prendre à la police et aux institutions qu’ils voulaient réformer. Pour être honnête, j’étais en colère contre eux, et j’ai canalisé une partie de cette colère dans les scripts que j‘ai écrits pour Wakamatsu.
Parlez-nous du Sasori-za (Théâtre Scorpion). C’était l’un des principaux centres d’activité culturelle à Shinjuku.
A. M. : Oui, il y avait Sasori-za (voir p. 9) mais aussi le Kinokuniya Hall qui avait ouvert ses portes en 1964 et se concentrait sur différents types de théâtre, y compris le shingeki (nouveau théâtre) et le butô. Il est toujours situé au quatrième étage de la librairie Kinokuniya. Puis, à un niveau plus expérimental, Kara Jûrô et sa troupe Jôkyô Gekijô (Théâtre situationniste), faisaient des spectacles de guérilla à l’intérieur de la célèbre tente rouge qu’ils avaient dressée à l’intérieur du sanctuaire Hanazono, près de Kabukichô.
Avant d’évoquer le Sasori-za, il faut mentionner l’Art Theatre Guild (ATG) lancée, en 1961, pour distribuer des films d’art et d’essai européens au Japon, puis pour produire des œuvres de réalisateurs japonais. Son principal cinéma, l’Art Theatre Shinjuku Bunka, était situé dans ce quartier. Je me souviens qu’il était peint d’une nuance de gris foncé, et toute publicité tape-à-l’œil était bannie. Son directeur Kuzui prenait le cinéma très au sérieux, et le public ne pouvait pas aller et venir pendant une séance comme ils le faisaient dans les autres cinémas. En 1967, il a fait construire une petite salle au sous-sol pour montrer des films d’avant-garde, notamment des films de 8 ou 16 mm. C’était le Sasori-za. La séance d’ouverture a eu lieu avec mon film Galaxie (Gingakei, 1967). On peut dire qu’il a servi de modèle à toutes les petites salles d’art et d’essai qui sont apparues par la suite, notamment à Shibuya. Dans le même temps, Sasori-za a rapidement évolué pour accueillir d’autres arts expérimentaux. Même le grand acteur de butô Hijikata Tatsumi s’y est produit.
J. D.