Tous vos films sont basés sur des histoires originales. Malgré vos six années aux États-Unis, vos films n’ont pas vraiment un goût américain.
O. N. : Vraiment ? Quand je vivais aux États-Unis, entre 1994 et 2000, je m’intéressais au cinéma indépendant new-yorkais, et je pense avoir été influencée par des réalisateurs comme Jim Jarmusch. En même temps, il est vrai qu’à l’USC on m’a appris à écrire des scénarios selon un modèle standard (une intrigue en trois actes, le personnage principal doit avoir une sorte de conflit, etc.). Mais après mon deuxième film, j’ai compris que si je voulais raconter mes propres histoires, je ne pouvais plus suivre cette structure. J’ai donc commencé à faire des films ouverts, parce que je voulais que le public pense à ce qui allait advenir. Je voulais les laisser libres d’imaginer comment l’histoire se terminerait ou se poursuivrait.
Cela a-t-il été difficile de revenir au Japon ? Avez-vous vécu un choc culturel ?
O. N. : Absolument. En Amérique, il y a toutes sortes de problèmes, mais les gens ne se soucient pas vraiment de qui vous êtes et de ce que vous faites. Ils vous laissent exister. Vous pouvez teindre vos cheveux verts ou violets, ils s’en fichent. Mais au Japon, vous pouvez être montré du doigt pour avoir teint vos cheveux en blond, ou avoir un style de vie légèrement différent de la majorité. Ici, il y a une pression constante pour être comme tout le monde. Quand je suis revenue, j’avais 27 ans et je n’avais pas un sou, pas de travail, pas même un petit ami, alors j’ai vécu chez mes parents. N’ayant rien à faire, je dormais jusqu’à tard le matin et restais inactive le reste de la journée. Cela ne s’est pas bien passé avec nos voisins. Ils m’ont fait sentir que j’étais une perdante.
Apparemment, vous avez aussi rencontré des soucis sur le plateau au début.
O. N. : C’était au moment de mon second film, Koi wa go, shichi, go! (Love Is Five, Seven, Five!, 2005). J’avais réalisé le premier grâce à une bourse remportée pour mes courts métrages. L’équipe était composée de jeunes qui, comme moi, faisaient leurs débuts sur un plateau, et tout s’est bien passé. Mais pour le second, il s’agissait d’un travail plus conventionnel. Mon assistant était un homme plus âgé qui n’aimait probablement pas travailler sous la direction d’une jeune femme. Il était très méchant et tentait de m’intimider en permanence. J’ai entendu plus tard que d’autres personnes avaient subi le même traitement. Ça peut se comprendre, car, par le passé, on devenait réalisateur en titre après avoir travaillé pendant des années comme assistant. Ma génération est sans doute la première à avoir eu la chance de diriger sans avoir à gravir les échelons, et je suis certaine que certains vieux de la vieille ont eu du mal à s’y faire.
Est-ce la raison pour laquelle vous avez réalisé votre film suivant, Kamome Shokudô (Kamome Diner, 2006), en Finlande ?
O. N. : Oui, je m’étais jurée de ne plus jamais travailler au Japon (rires).
Je sais que vous êtes allée en Finlande plusieurs fois depuis. Qu’appréciez-vous dans ce pays ?
O. N. : J’aime leur style de vie tranquille, et la façon dont ils coexistent avec la nature. Même dans une grande ville comme Helsinki, vous sentez que la nature est importante dans leur vie. Et puis j’adore les saunas !
Après avoir quitté les États-Unis, vous avez tourné au Japon, en Finlande et au Canada. Comment compareriez-vous la façon de faire des films dans ces différents pays ?
O. N. : Tout d’abord, au Japon, les gens travaillent plus longtemps, probablement parce qu’il n’y a pas de syndicats qui interfèrent. Les budgets sont également assez faibles, alors nous essayons de faire le maximum possible dans une journée de travail. Je dois dire que je n’aime pas du tout ça. Dans les autres pays, au contraire, les syndicats sont très influents et dictent notre travail sur le plateau. Par exemple, vous ne pouvez pas travailler plus de 12 heures par jour et cinq jours par semaine. Cela crée une atmosphère plus détendue. D’un autre côté, j’ai eu quelques problèmes pour m’adapter à ce rythme de travail. L’équipe en Finlande, en particulier, était incroyablement lente ! Ils ne comprenaient pas pourquoi j’étais toujours pressée. Mais je suppose qu’en définitive, cette atmosphère décontractée a contribué à faire de Kamome Shokudô un film méditatif. La même chose pourrait être dite à propos de Megane (Glasses, 2007). Le film a été tourné au Japon, mais sur une minuscule île du sud appelée Yoron où les habitants, encore une fois, vivent une vie très lente, très différente de Tôkyô ou d’Ôsaka. Je suis sûre que cette atmosphère a déteint à la fois sur la distribution et sur l’équipe.
Entre 2006 et 2012, quand vous avez fait ce qu’on appelle des iyashi-kei eiga, des films réconfortants, vous avez travaillé plus ou moins avec le même groupe d’acteurs. Pour votre dernier film, Karera ga honki de amutoki wa, (Close-Knit, 2017), vous avez utilisé un casting complètement différent.
O. N. : J’ai vraiment adoré travailler avec Kobayashi Satomi, Ichikawa Mikako, Mitsuishi Ken et Motai Masako. Mais j’étais arrivée à un point où j’avais l’impression de trop m’appuyer sur eux, et leur présence affectait le genre d’histoires que j’écrivais. Comme vous l’avez souligné, ces films avaient la même finalité. C’est pourquoi, pour Karera ga honki de amutoki wa,, j’ai décidé de changer de casting.