Jusqu’à Rentaneko (Rent-a-Cat, 2012), vous aviez réussi à faire presque un film par an, puis pendant cinq ans plus rien. Étiez-vous juste occupée à élever vos jumelles ?
O. N. : Élever des enfants n’a jamais été un problème. Peu de temps après la naissance de mes filles, par exemple, j’ai eu une bourse et passé une année aux États-Unis avec toute ma famille. Quand je suis rentrée au Japon, je voulais refaire des films, mais les producteurs n’aimaient pas mes scénarios. Après avoir vu trois de mes histoires rejetées, j’ai presque fini par croire que j’étais incapable de trouver des intrigues intéressantes jusqu’à Karera ga honki de amutoki wa,. Je sais que les producteurs ne veulent faire que des films basés sur des romans à succès ou des mangas, mais je trouve cela inacceptable. J’aime écrire et la seule raison pour laquelle je fais ce travail est que je veux transformer mes écrits en film. Mais c’est difficile. A la fin du mois de juin, j’étais censée commencer à tourner mon nouveau scénario. Tout semblait réglé, mais on m’a récemment dit qu’il y avait quelques problèmes et tout a été reporté à l’année prochaine. Cela a été un tel choc que je n’ai pas pu en dormir pendant plusieurs jours. Et je suis toujours en colère à ce propos.
Près de 13 ans se sont écoulés depuis vos débuts. Pensez-vous que votre approche du cinéma a changé ?
O. N. : Du tout au tout. J’ai progressivement appris à découvrir mon propre rythme. Aussi, et peut-être surtout, je pense avoir appris à utiliser l’humour dans mes films. Je sais maintenant mieux faire rire les gens. Karera ga honki de amutoki wa, a été une occasion d’innover, et le public étranger a apprécié. Les gens ont beaucoup ri, ce qui est génial. Au Japon, ils n’ont pas autant ri, mais les gens ici sont plus sérieux…
Humour mis à part, Karera ga honki de amutoki wa, a été assez controversé au Japon. C’est l’histoire d’une petite fille qui, négligée par sa mère, va vivre chez son oncle et son partenaire qui se trouve être un travesti.
O. N. : Malheureusement, ce film n’a pas été un succès au box-office au Japon, ce qui me rend triste, non seulement parce que, comme je l’ai dit, il a eu du succès à l’étranger, mais parce qu’il montre que la société japonaise n’est pas encore prête pour ce genre d’histoires. Il est très difficile pour les minorités sexuelles d’exister au grand jour. Les gens adorent regarder les stars gay et transgenres à la télévision, mais quand il s’agit d’avoir un voisin ou un collègue LGBTQ, c’est une autre affaire. Ça me désole de voir que le Japon est toujours en retard sur ce plan.
Qu’est-ce qui a gêné le public en particulier ?
O. N. : Histoire mise à part, beaucoup de gens ne pouvaient pas comprendre qu’Ikuta Toma, acteur célèbre et beau, très populaire auprès des filles, porte des vêtements féminins. En fait, je pensais qu’il allait refuser mon offre en raison de son image de sex-symbol, mais il a aimé le scénario dès le départ. J’ai eu de la chance parce qu’il est excellent. Il a appris à s’asseoir et à marcher comme une femme. Le plus gros problème que nous avons rencontré a été de lui trouver des vêtements appropriés parce qu’il est grand et musclé.
Plusieurs de vos films présentent des personnages qui jurent avec l’environnement social. Est-ce juste une coïncidence ou êtes-vous particulièrement intéressée par ces questions ?
O. N. : Pour tout dire, je n’avais pas remarqué ça avant. Ce n’est que récemment qu’un certain nombre d’interviewers m’ont dit la même chose. Il est clair que de nombreuses histoires mettent en scène un individu qui ne se conforme pas aux valeurs sociales acceptées. Je suppose que cela remonte à l’époque où je suis rentrée des États-Unis et, regardant le Japon avec un regard extérieur, je n’en suis pas revenue. J’ai été stupéfaite de constater combien ma culture était rétrograde et conservatrice. Je suppose que j’ai transposé cette impression dans mes films. Vous pourriez dire que je suis une sorte d’outsider moi-même. J’aime faire les choses à ma façon.
Propos recueillis par G. S.