Pas étonnant qu’on produise plus de 600 films par an au Japon.
F. A. : Oui, mais en réalité, seule une poignée est diffusée à l’étranger parce que la plupart des films sont seulement conçus pour le public japonais. Aussi quand ils sont présentés dans un festival international, les gens ne les comprennent pas. Voilà pourquoi j’essaie toujours de faire des films qui soient universellement pertinents. Tant que vous avez une histoire puissante, vous pouvez surmonter les barrières linguistiques ou culturelles.
Au Japon, vous avez passé beaucoup de temps à faire des films qui, d’une manière ou d’une autre, sont connectés aux événements du 11 mars 2011.
F. A. : Tout a commencé lorsque le tournage de ce qui allait devenir Sakuranamiki no mankai no shita ni (Cold Bloom, 2012) a été annulé à cause de la triple catastrophe de Fukushima. Tout était prêt, la moitié de notre budget était déjà en pré-production, puis nous avons dû abandonner le projet. Je me suis donc retrouvé à ne rien faire. C’est en partie la raison pour laquelle j’ai commencé à travailler sur Futaba kara tôku hanarete (Nuclear Nation, 2012). A la fin du mois de mars 2011, j’ai vu des informations sur Futaba, cette ville est à l’intérieur de la zone d’exclusion la plus proche de la centrale de Fukushima. Toute sa population avait été évacuée vers un lycée abandonné de la préfecture de Saitama, juste au nord de Tôkyô. J’ai pensé que je pourrais faire un film sur la catastrophe nucléaire, en me concentrant sur les gens de l’école. C’est ainsi qu’est né Futaba kara tôku hanarete.
Pourquoi avez-vous décidé de faire une suite ?
F. A. : Parce que la crise nucléaire n’est pas encore terminée. C’est pourquoi nous tournons toujours. Nous travaillons actuellement sur un troisième volet. C’est devenu une sorte de projet permanent. J’ai l’impression que les êtres humains ont la vue courte et que, c’est le rôle du cinéma de saisir ce qui se passe maintenant pour que les gens puissent le regarder plus tard. Lorsque vous êtes en train de faire quelque chose, et que vous êtes pris au milieu de l’action, il est souvent difficile de penser correctement et de prendre les bonnes décisions, mais dans dix ou vingt ans, avec le recul, les choses apparaîtront différemment. En ce sens, le cinéma est un bon outil pour aider les gens à réfléchir sur le sens de la vie.
Finalement, vous avez réussi à tourner le film annulé après le 11 mars.
F. A. : Oui, j’en ai parlé à Office Kitano et ils m’ont aidé à réunir l’argent. Pour moi, c’était comme un miracle parce que je pensais que je ne serais jamais en mesure de le faire.
Etait-ce la même histoire ?
F. A. : Oui, mais avec un casting différent car les acteurs originaux n’étaient plus disponibles. En fait, parce que nous avons tourné le film après le 11 mars, l’histoire a pris une signification supplémentaire. C’était une façon différente de gérer la tragédie. Il s’agit du vide que tous ces gens ont pu ressentir après avoir perdu leur famille, leur maison et leur communauté. Mais aussi leur colère vis-à-vis de Tepco (l’opérateur de la centrale de Fukushima) et du gouvernement. Pour moi, en tant que cinéaste, il vaut mieux prendre du recul et mettre de la distance entre une histoire fictive et la vie réelle. En d’autres termes, je ne voulais pas faire un film sur Fukushima. La catastrophe est survenue il y a seulement sept ans, et si vous en faites une fiction, cela ne semble pas réel. Je ne pense pas que la fiction doit être utilisée comme ça. Sinon, vous finirez par faire un de ces films américains qui sont si faux. Oliver Stone, par exemple, a tourné World Trade Center en 2005, soit seulement quatre ans après le 11 septembre, et les gens à New York l’ont détesté parce que c’est une histoire de héros stéréotypée qui sonne tellement faux.
Lorsque vous êtes interviewé, la plupart des gens semblent se concentrer sur votre période américaine ou les films liés à Fukushima, et votre film de 2009, Yanaka Boshoku (Deep in the Valley), est toujours négligé. Ce qui est dommage car je l’aime beaucoup, en partie parce qu’il se déroule dans le quartier de Yanaka, à l’est de Tôkyô (voir Zoom Japon, n°42, juillet 2014).
F. A. : C’est là que je vis. C’est pourquoi j’ai fait ce film. En tout cas je suis content que vous l’aimiez. C’est un petit film indépendant, et un de mes préférés. Je suppose que vous êtes l’une des rares personnes à l’avoir vu. À l’époque, il n’est sorti que dans un petit cinéma de Shinjuku, et c’est tout. Il n’y a même pas de DVD disponible.