En commençant par Mukidashi Nippon, dans plusieurs de vos films, vous avez abordé les problèmes familiaux, en particulier la relation père-fils. Pourquoi êtes-vous si intéressé par ce sujet ?
I. Y. : Les gens s’expriment de différentes manières, mais souvent ce qui sert de détonateur est un sentiment de vide, ou même un manque d’amour, qui remonte généralement à notre petite enfance. Dans mon cas, par exemple, ma mère est morte quand j’avais sept ans et cette absence m’a beaucoup marqué. Je suppose que c’est ma façon d’exprimer mes sentiments sur cette question. En général, plus le budget est limité, plus mes histoires deviennent personnelles.
Vous avez déclaré un jour que, pour Azemichi no Dandi (A Man with Style, 2011), vous aviez en tête une sorte de père idéal.
I. Y. : J’ai dit que je voulais dépeindre un homme idéal, du moins, ce qui était pour moi un homme idéal à l’époque. Les Japonais ont un sens esthétique particulier que nous exprimons à travers l’idée d’iki (être chic, élégant, intelligent). C’est proche de ce qu’on appelle le dandysme, mais si en Occident il s’applique principalement à la mode, au Japon c’est plus un état d’esprit, une émotion. C’est aussi une chose du passé, et aujourd’hui ce n’est plus vraiment nécessaire. Mais quand vous êtes un jeune homme, comme je l’étais à l’époque, et que vous vous demandiez comment mener votre vie, vous cherchiez un principe directeur. C’est ce que j’ai voulu montrer dans ce film.
Pensez-vous que la famille japonaise a évolué ?
I. Y. : Oui. Ou peut-être devrais-je dire que les gens ont changé. Nous ne nous respectons plus autant qu’auparavant. Nous ressentons moins d’empathie envers les autres. Vous pouvez le voir partout. Il suffit de marcher autour de Shibuya ou de prendre un train. Même quand on voit quelqu’un qui a besoin d’aide, on s’en fout. Nous pensons que ce n’est pas notre affaire. Bien sûr, la famille est l’environnement dans lequel nous grandissons. À cet égard, il est à la fois affecté par la société dans son ensemble et contribue à l’évolution de la société.
Pour le tournage d’Azemichi no Dandi, les acteurs ont été choisis par le studio après l’écriture du scénario, vous avez donc dû réécrire certains passages pour l’adapter aux acteurs. Cela arrive-t-il souvent ?
I. Y. : Cela dépend, chaque projet est différent. Lorsque la société de production a un rôle important dans la réalisation du film, elle s’occupe souvent du casting. Cela arrive parfois même avant que le script ne soit terminé. Quand j’ai le contrôle complet sur un projet, je préfère écrire l’histoire d’abord, puis penser aux acteurs.
En parlant d’acteurs, Ikematsu Sôsuke est apparu dans plusieurs de vos films. Qu’est-ce que vous appréciez chez lui ?
I. Y. : En plus d’être un bon acteur, il est le genre de personne qui apporte beaucoup à l’histoire. Il donne toujours tout ce qu’il a. Vous avez presque l’impression qu’il met sa vie en jeu à chaque fois qu’il se présente sur le plateau. En japonais, il existe l’expression “shinjû dekiru” qui signifie faire tellement confiance à quelqu’un que vous pouvez le choisir comme partenaire pour un double suicide. Je peux l’utiliser pour Ikematsu.
Il est présent dans votre dernier film Yozora wa itsudemo saikômitsudo no aoiro da (The Tokyo Night Sky Is Always the Densest Shade of Blue, 2017). Ce projet a été inspiré par un recueil de poésie de Saihate Tahi. A-t-il été difficile de créer une histoire à partir d’un livre de poésie ?
I. Y. : En fait, cela a été assez libérateur parce que le livre n’a évidemment pas d’histoire linéaire. Je dois admettre que lorsque le producteur m’a proposé le projet, je ne savais pas vraiment comment m’y prendre. Puis j’ai commencé à voir les possibilités offertes par un tel sujet, et je me suis senti libre de développer ma propre histoire et d’exprimer visuellement les sentiments d’insécurité et de vide que véhiculent les poèmes. Après cela, l’idée d’une histoire d’un garçon qui rencontre une fille est venue tout naturellement.
A propos de ce film, vous avez récemment déclaré que vous aviez eu l’impression que vous deviez faire ce film. Qu’avez-vous voulu dire par là ?
I. Y. : Nous racontons des histoires afin d’exprimer ce que les gens ressentent – leurs espoirs et leurs peurs. Le problème est de savoir comment les exprimer efficacement. Le sentiment général, surtout chez les jeunes, est celui de la solitude et de l’ennui. Ils ne trouvent plus leur place dans ce monde et éprouvent un sentiment diffus d’insécurité. Cependant, vous ne voyez pas vraiment ces émotions décrites dans les films récents. Trop de films au Japon ne font que flatter le marché commercial. C’est quelque chose que je voulais éviter à tout prix. Je voulais prendre un instantané de Tôkyô. C’est pourquoi nous avons travaillé si vite. J’ai commencé à écrire le scénario en mai 2016, et en septembre nous tournions déjà.
En 2013, vous avez réalisé Fune wo amu ( The Great Passage) à propos d’une équipe en charge de rédiger un dictionnaire. Bien que très différent de votre dernier film, ce long métrage montre un intérêt pour les mots et la communication. D’après ce que vous avez dit plus tôt, vous semblez penser que la communication et les liens humains ne sont pas aussi forts que par le passé.
I. Y. : En effet, je crois que les mots n’ont plus le même poids qu’auparavant. Par exemple, pensez au mot “amour”. Si l’on compare à il y a 30 ans, il n’a plus la même signification. Les gens le prennent à la légère. Pour moi, cela signifie que maintenant nous considérons les individus et les relations humaines comme des choses acquises. Grâce à Internet, nous avons de nouveaux “amis” tous les jours. Mais que signifie vraiment le mot “ami” ? Qu’est-ce qu’un ami ?