Une décision administrative risque de contribuer à la disparition d’un produit fabriqué depuis plus de 400 ans.
Comme toutes les régions du Japon qui possèdent chacune un miso “du cru”, la région d’Aichi est renommée pour sa cuisine assaisonnée au miso rouge, au goût épais. Et notamment pour son Hatchô miso, réputé pour son processus de fabrication particulier. Le miso peut être préparé à base de soja, de sel et de kôji, une sorte de champignon qui favorise la fermentation, et que l’on fait pousser sur un lit de riz ou de blé cuit. Mais dans le cas du Hatchô miso, le kôji est directement cultivé sur le soja, ce qui requiert une plus grande technique et plus de temps de fermentation.
Maruya et Kakukyû, deux petits producteurs qui se trouvent côte à côte à hatchô (= 870 mètres ; d’où le nom Hatchô miso) au château d’Okazaki, lieu de naissance du premier shôgun, ont su faire perdurer une authentique méthode de fabrication du Hatchô miso. Ils laissent le miso reposer plus de deux ans à l’air ambiant, dans des tonneaux en bois, des pierres disposées dessus en forme de cône. Cette méthode ancestrale fait du Hatchô miso le “miso du seigneur”, et elle est d’autant plus précieuse de nos jours, que certains producteurs industriels mettent leurs miso sur le marché au bout de quelques semaines seulement. Le mélange de l’umami, de la légère acidité, d’une pointe d’amertume et de la faible teneur en sel donne de la profondeur aux plats et ne se limite pas à la cuisine japonaise ; il se marie également avec de nombreux plats occidentaux : dans les ragoûts ou dans les gâteaux, il apporte une saveur similaire au cacao et au caramel au beurre salé !
Bien qu’il soit un produit plus que local, il est prisé par les pratiquants européens de macrobiotiques, qui apprécient sa méthode de fabrication artisanale et l’utilisation des ingrédients biologiques. Les miso de ces deux producteurs se retrouvent dans différents pays, en Europe et aux États-Unis, grâce à un phénomène contemporain, qui permet à des produits locaux de rencontrer un succès international auprès des amateurs.
Mais actuellement, ces producteurs traversent une phase critique : le ministère japonais de l’Agriculture et de la Pêche les a retirés de la liste des “GI” (geographical indication, équivalent de l’AOC pour les vins en France), des produits de dénominations locales à protéger. À la place, la coopérative de miso de la préfecture d’Aichi, la plus grosse de la région, a été désignée. On peut supposer que le gouvernement a voulu favoriser la vente en quantité à l’étranger. Mais de ce fait, non seulement les nouveaux produits de ces deux producteurs ancestraux ne pourront plus être appelés Hatchô miso, mais ils risquent également de ne plus pouvoir exporter leur production en Europe, une conséquence qui pourrait s’avérer fatale.
Shibata Kaori, spécialiste de culture culinaire, souligne que des cas similaires se retrouvent en Europe, et propose donc de suivre son système en créant deux appellations, en fonction du degré de rapport avec la région (PDO et PGI), comme, par exemple, pour distinguer le vinaigre balsamique issu d’une méthode traditionnelle (PDO) et le vinaigre balsamique propre à la région (PGI).
Ce qui, à l’origine, a été instauré pour protéger les intérêts du producteur peut finalement se retourner contre lui. Cette ironie propre aux temps modernes ne doit pas tuer une tradition culinaire qui perdure depuis plus de 400 ans.
Sekiguchi Ryôko
Solidarité
Des messages de soutien dans n’importe quelle langue peuvent être adressés aux deux producteurs locaux via leurs sites Internet :
Maruya Hatchômiso : www.8miso.co.jp
Kakukyû : www.kakukyu.jp