Le petit monde installé dans les dépendances de la ferme, rénovées en chambres d’hôtes, une promenade dans les alentours s’improvise. Les étudiants suivent Agematsu Tae à travers la campagne traversant les champs d’oignons, d’ail et de pommiers. “Il y a beaucoup d’animaux sauvages dans le coin”, explique-t-elle. “Il n’est pas rare de tomber nez-à-nez avec un sanglier, un tanuki ou encore un singe.” La promenade a mis tout le monde en appétit et il est l’heure de rebrousser chemin pour partager le dîner prévu dans la partie de la ferme que la maîtresse de maison réserve à son usage privé.
Au menu du soir, Agematsu Tae a prévu de la salade de bonite crue, de la soupe de coquillages, du poulet au citron et au chou, du tofu et fête nationale des petites filles oblige, du chirashi-zushi en grande quantité. Des mets que les étudiants découvrent avec délice. Autour de la table, pas de langue commune, il faudra donc jongler d’une personne à l’autre pour que tout le monde puisse se comprendre dans ce ballet linguistique. Malgré cette gymnastique complexe, la discussion reste des plus animées et les questions fusent autant que les rires. Gabrielle veut tout connaître de l’histoire de la famille d’Agematsu Tae et cette dernière, dont la fille vit désormais à Paris avec son époux, se souvient avec plaisir de son dernier séjour dans l’Hexagone et du pain qu’elle y a mangé. Galvanisés et au plus grand plaisir de la maîtresse de maison, Gonzalo et Magdalena entreprennent de préparer une tortilla de pommes de terres dans la cuisine, à la mode de chez eux. “Si l’on m’avait dit que je cuisinerais ce plat, un jour, au Japon, je ne l’aurais pas cru”, confie Gonzalo, séduit par la situation. “Cela va rester ma plus belle soirée dans l’archipel.” Le matin, les au-revoirs sont difficiles. Les trois étudiants insistent pour laisser leurs coordonnées : “Si vous venez un jour en France ou en Espagne, appelez-nous”, murmurent-ils.
Le lendemain matin, le théâtre Imada de ningyô jôruri les attend dès potron minet pour un spectacle suivi d’une initiation à la manipulation des marionnettes traditionnelles. Pas vraiment impressionnés de prime abord, les étudiants s’aperçoivent rapidement que la manœuvre n’est pas si simple. Trois personnes sont nécessaires pour donner vie à une marionnette du bunraku : mains, jambes, émotions du visage, accessoires, tout doit être manipulé en harmonie. “Pour exprimer la tristesse, la main de la marionnette féminine doit couvrir les yeux, il y a un petit crochet au niveau de la bouche pour vous aider à accrocher la manche du kimono”, traduit Matsuoka Noriko, une habitante de la ville venue aider pour l’interprétation du japonais vers l’anglais. “Ensuite, il faut avancer la main vers les yeux.” La bonne humeur demeure.
Avant de reprendre la route, les étudiants feront une ultime halte à l’école Kinehara, la fierté de la localité. Impeccablement préservé, l’établissement scolaire est désormais réservé à des événements particuliers comme des ateliers de travaux manuels ou des tournages de films. Certaines pièces font office de musée et exposent des outils agricoles d’autrefois et autres métiers à tisser. L’école est l’occasion d’expliquer aux étudiants qu’Iida est également la capitale du mizuhiki, une décoration traditionnelle délicate confectionnée à partir de papier washi que l’on trouve notamment sur les enveloppes (cérémonies, funérailles, etc.). Initiés et invités à repartir avec les objets qu’ils ont confectionnés, certains étudiants continueront de nouer les fils inlassablement pendant leurs déjeuners alors qu’ils discutent avec leurs camarades, dans l’une des anciennes salles de classe. “Ici, vous découvrez la vie des écoliers d’Iida”, rappelle Inoue Masao, le responsable de l’école. “Comme autrefois, ils déjeunaient toujours attablés à leurs pupitres : le professeur également, depuis son bureau qui leur fait face.” Au cœur du bento du jour, des gohei mochi, une spécialité locale sucrée à base de riz et de miso que les étudiants dévorent sans laisser de restes.