L’art du sophisme, du faux raisonnement ou encore du blabla est une pratique courante chez l’homme politique désireux d’esquiver les questions qui ne sont pas à son avantage. Désormais au Japon, on appelle cela gohanronpô, association originale des mots gohan (repas ou riz) et ronpô (raisonnement). Malgré sa création récente, en mai, sa sonorité m’est familière car elle évoque chez moi de vieilles expressions que d’autres Japonais ont dû aussi entendre. C’est peut-être une raison supplémentaire de son succès rapide chez les intellectuels dès son apparition sur les réseaux sociaux. Pour comprendre la logique de cette association, il faut revenir à son origine, à savoir le tweet d’une enseignante, spécialiste des questions du travail, qui a suivi les débats ayant lieu au Parlement sur le projet de réforme du travail (hatarakikata kaikaku). Elle y a caricaturé à sa manière la façon dont le ministre en charge du dossier bottait en touche en utilisant la langue de bois face aux questions d’un député de l’opposition : “Avez-vous pris votre gohan (repas) ce matin ?” “Non je n’ai pas mangé de gohan (riz). (j’ai mangé du pain, mais je ne le dis pas) ” “Vous n’avez rien pris alors ?” “Ça dépend de ce que vous entendez par le mot ‘repas’.” […] “Avez-vous alors mangé du riz blanc?” “Voyons, c’est une question trop personnelle […]”.C’est à ce genre de réponse typique qu’Elise Lucet est habituée dans Envoyé spécial. Ce n’est pas non plus très loin du joli discours d’une certaine ministre française : “Traquer les chômeurs ? Moi je ne traque personne, je traque le chômage”. En effet, il faut être malin(e) pour maîtriser le gohanronpô. Or pendant que les dirigeants japonais et européens s’entraînent à mystifier le monde avec leur propos, le reste du monde a déjà changé du fait des tweets à la “Trump ronpô” totalement émancipés et l’incroyable poignée de main entre l’imprévisible président américain et le jeune dictateur nord-coréen, prêts ensemble à servir le gohan à tout le monde (ou pas) ! En France, on aurait dit “servir la soupe”.
Koga Ritsuko