Le célèbre peintre a commencé à s’intéresser aux œuvres venues du Japon dès l’âge de 16 ans.
Au printemps 1980, la maison de Claude Monet à Giverny ouvre ses portes au public, après des travaux de rénovation. A cette époque, il n’y a pas foule, les tour-operateurs et les visites en groupe n’ont pas encore inscrit ce haut-lieu de Normandie dans leur circuit. Aussi ai-je tout loisir pour contempler, pièce après pièce, l’ensemble de cette collection d’estampes japonaises encadrées et accrochées dans les différents espaces de vie. Travaillant à l’époque dans une galerie spécialisée dans ce domaine, cette visite produisit un déclic. Habituée à feuilleter les estampes en feuille et enfermées dans des cartons pour les protéger de la lumière, ce fut un éblouissement et le début de ma passion pour l’estampe ukiyo-e, ces images contant le “temps présent”, “le temps qui passe”.
Il fallait sans tarder faire connaître cet ensemble inédit et cet art d’Extrême-Orient. Autorisée, quelque temps après, à l’étudier et à publier le catalogue raisonné, nous nous mettons aussitôt à l’œuvre Mariane Delafond – collègue et amie que j’ai ralliée à la cause – et moi-même. Par quelques froides journées d’hiver nous inventorions, dans la maison non chauffée, les quelque deux cent trente et une estampes japonaises qui ne semblent pas avoir bougé depuis l’époque où Monet a habité dans cette demeure entre 1883 et 1926, date de sa mort.
Une photographie représente l’artiste, posant fièrement dans sa salle-à-manger au milieu de ses chefs-d’œuvre. Ainsi devait-il y accueillir ses fidèles visiteurs, écrivains et critiques tels que Mirbeau, Geffroy ou Clémenceau, l’homme politique. Que de déjeuners savoureux se sont déroulés dans ce cadre sous l’œil attentif et admiratif de ses hôtes. Invitée par le peintre à Giverny, Berthe Morisot vient accompagnée de sa fille Julie Manet, alors âgée de quatorze ans et qui confie ses impressions dans son Journal : “Le salon est en boiseries violettes, beaucoup de gravures japonaises y sont accrochées, ainsi que dans la salle à manger qui est toute jaune”.
Cette description est corroborée par Gustave Geffroy : “Cette salle-à-manger aux lambris peints en jaune pâle, relevé aux moulures d’un jaune plus vif, aux meubles, buffets, dressoirs, peints de même manière, décorée sur toutes les murailles d’une profusion d’estampes japonaises, simplement mises sous verre, les plus belles, les plus rares, de Korin et Harunobu jusqu’à Hokusai et Hiroshige ; et les plus inattendues aussi, où l’art du nippon s’est appliqué victorieusement à représenter les costumes et les aspects de la vie hollandaise aux colonies.”