Faut-il voir dans les films d’animation l’illustration d’une forme de japonisme qui ne cesse de se réinventer ?
Le cinéma japonais d’animation est un labyrinthe. Un formidable dédale, dont la découverte internationale initiée ces vingt dernières années avance toujours à tâtons. Car si la reconnaissance suscitée à l’étranger par l’œuvre de quelques cinéastes incontournables a marqué depuis l’orée des années 2000, un tournant dans la perception du grand public à l’égard du “dessin animé japonais”, et induit une révision opportune des discours critiques dominants, ce renversement de préjugés n’a pas vraiment permis de sortir du stade des a priori.
Théorisé au début des années 2000 par l’artiste-entrepreneur Murakami Takashi, l’avènement prétendu d’un “nouveau (ou post-) japonisme”, en référence notamment à l’engouement observé à l’étranger à l’égard du dessin animé japonais, est un signe parmi d’autres de ce cheminement hasardeux. Malgré l’habileté de la référence au caractère “résolument plat” (superflat) du rendu animé traditionnel sur cellulo, la manœuvre procédait avant tout de la rhétorique — de même que l’exposition collective afférente Coloriage, dont il assura le commissariat à la Fondation Cartier en 2002. Quoi de commun, en effet, entre la naïveté assumée des peintures de Beat Takeshi, le travail du photographe Shinoyama Kishin, les maquettes en plastique géantes de Doraemon ou Gundam dues à la compagnie Kaiyôdô (listée en tant qu’ “artiste”), ou la délicatesse enfantine des dessins de Taniuchi Rokurô ? L’effet consternant de cet assemblage hétéroclite révélait l’inanité et la rouerie de l’argument.
Car le mouvement qu’a constitué le japonisme, de la seconde moitié du XIXe au début du XXe siècle, avait d’abord été un trait d’union entre des artistes japonais et leurs épigones occidentaux par le seul biais d’œuvres interposées, sous la forme d’une influence vaste et décisive, réflexive, assumée et médiate, de créateurs à créateurs. À cet égard, mis à part quelques exemples récents dans la production européenne (les films de Tomm Moore, Benjamin Renner ou Rémi Chayé), l’impact formel du cinéma japonais d’animation sur le reste du monde paraît s’exercer avant tout dans sa réception auprès du grand public.