Formé à la peinture japonaise traditionnelle comme à celle de l’école occidentale, Masaoka Kenzô fait ses débuts animés en autodidacte en 1930 avec L’Île aux singes, un manifeste moderniste en papiers découpés, dynamique et enlevé. Pionnier du parlant, il investit aussi la technique américaine du cellulo, que sa double culture picturale lui permet d’assimiler mieux que personne. Tout au long des années 1930, le degré de maîtrise technique de son équipe ne cesse de s’élever. Réalisé au plus fort de la guerre du Pacifique, hors du contrôle de l’armée (qui à l’époque finance et régente l’ensemble de la production de cinéma à des fins de propagande), L’Araignée et la tulipe (1943), marque un tournant formel : cette opérette animée au lyrisme pastoral ouvre pour le dessin animé japonais sur cellulo une voie neuve, émancipée du cartoon, celle d’une poésie visuelle toute en finesse et en sens du détail, dans la gestuelle des personnages comme la représentation des éléments naturels.
Mais c’est dans l’immédiat après-guerre que Masaoka réalise son véritable chef-d’œuvre : composé de quelques scènes pastorales, sans récit ni paroles, Cerisiers – Illusion de printemps (1946) met en scène une pure quête de beauté, et probablement la première représentation non caricaturale de la figure humaine dans un dessin animé japonais sur cellulo.
Dans ce vaste mouvement d’appropriation à long terme, pour la période allant de l’après-guerre à nos jours, le rôle de Takahata Isao apparaît comme le plus résolu, le plus cohérent et le plus approfondi. Plus que quiconque, il a transformé le langage du dessin animé japonais après la guerre, l’arrachant aux conventions du cartoon comme au “style disneyen” pour affirmer sa dimension sociale, politique, sa capacité à révéler le réel, la figure humaine, la beauté du quotidien.
Évidents dès le manifeste esthétique des Aventures de Hols (1968), ces enjeux courent à travers tout son cinéma, du doublé jubilatoire Panda Kopanda (1972, 1973) au somptueux Conte de la princesse Kaguya (2013), en passant par la truculence de Kié la petite peste (1981), la délicatesse musicale de Gauche le violoncelliste (1982), le naturalisme tragique du Tombeau des lucioles (1988), la subtilité intérieure de Souvenirs goutte à goutte (1991), le picaresque polymorphe de Pompoko (1994), ou la rupture visuelle et narrative de Nos voisins les Yamada (1999)… Ses séries télévisées annuelles, Heidi (1974), Marco (1976) et Anne des Pignons-verts (1979) restent aussi des tours de force uniques au monde.
Féru de peinture, d’architecture, de musique et de poésie, Takahata n’a cessé d’innover sur le plan formel, et a nourri son cinéma de son goût pour les arts graphiques, s’attachant ainsi à poursuivre à sa manière le passionnant dialogue qui, dans ces domaines, se poursuit entre les œuvres, à travers les époques et les contextes nationaux.
Ilan Nguyên