Vers le milieu du XVIIIe siècle, les artisans commencèrent à imprimer des estampes de deux ou trois couleurs. Celles-ci, appelées benizuri-e, marquèrent un progrès fondamental qui conduisit, vers 1765, à la création des estampes polychromes, dites de brocart (nishiki-e), dont Suzuki Harunobu fut l’initiateur.
L’estampe japonaise était et reste un travail d’équipe auquel participent le peintre, ou dessinateur, eshi, (le terme “artiste” ne fit son apparition qu’à l’époque Meiji (1868-1912), le graveur, horishi et l’imprimeur, surishi. L’éditeur, hanmoto choisissait un peintre en fonction du sujet qu’il souhaitait faire réaliser ou du public auquel s’adressaient ces estampes. À l’exception des surimono, destinées à être offertes lors d’événements particuliers, et pour lesquelles on utilisait les papiers et les pigments les plus luxueux, les estampes étaient créées dans un but commercial. L’éditeur devait vendre le plus possible d’estampes de qualité et correspondant aux critères de la mode du moment, pour poursuivre ses activités. Une estampe était tirée une première fois à deux cents exemplaires et, si elle connaissait les faveurs du public, pouvait atteindre mille ou deux mille exemplaires.
L’éditeur commandait au peintre de son choix, un dessin, hanshita-e, toujours exécuté au pinceau et à l’encre de Chine. Si le résultat le satisfaisait, il le montrait aux grossistes et aux magasins où étaient vendus les estampes et les livres illustrés, les Ezôshiya. À partir de 1791, le cachet de la censure devint obligatoire. L’éditeur soumettait le dessin aux autorités pour obtenir le cachet, aratame-in, sans lequel il ne pouvait avoir le droit d’imprimer et de vendre l’estampe. Ce sceau officiel était gravé et imprimé sur les estampes.
Le peintre transmettait ensuite son choix des couleurs à l’éditeur qui confiait le dessin aux graveurs dont le rôle très délicat était de graver le plus fidèlement et le plus minutieusement possible, le dessin. La xylographie est une gravure en relief et il convient de faire ressortir du bois la partie à imprimer. L’épaisseur des cheveux des beautés célèbres d’Utamaro est parfois d’un demi-millimètre, c’est donc un travail qui demande une infinie patience et une grande dextérité. Une première impression de l’estampe était montrée à l’éditeur et au peintre qui jugeaient si elle nécessitait quelques corrections ou si l’on pouvait en imprimer une première série, la plus belle et la plus recherchée de nos jours. L’imprimeur recevait autant de bois gravés qu’il y avait de couleurs à appliquer. Il applique la feuille de papier japonais traditionnel sur lequel on a appliqué une solution liquide, le dôsa (à base d’alun et de liant d’origine animale, qui permet aux pigments d’adhérer harmonieusement). La feuille de papier est posée sur la planche gravée en fonction de l’encoche, kentô. À l’aide d’un frotton, baren, fabriqué par ses soins, il imprime minutieusement chaque couleur, l’une après l’autre.
Le prix des estampes variait en fonction de leur format, des pigments plus ou moins luxueux utilisés, etc., mais, en général, elles ne dépassaient guère quelques euros actuels. Elles étaient imprimées une première fois (à la main, sans l’aide d’une presse) en une centaine d’exemplaires puis, si elles se vendaient bien, pouvaient être imprimées de nouveau et atteindre deux mille exemplaires, chiffre important pour l’époque, voire beaucoup plus. Elles s’adressaient à tout public et à toutes les classes sociales. Les guerriers ou autres riches seigneurs qui pouvaient s’offrir des peintures achetaient également des estampes, de même que les personnes des classes moins privilégiées.
Les estampes étaient populaires et jamais Utamaro, Hokusai, Hiroshige ou les autres grands peintres de l’estampe, n’auraient pu se douter qu’elles atteindraient des sommes aussi importantes un siècle et demi plus tard.
B. K.-R.
Technique : L’estampe, force d’attraction
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