Les récits des voyageurs et des commerçants qui ont séjourné en Extrême-Orient alimentent la curiosité des amateurs. Depuis les années 1850, des marchands de thé parisiens importent des objets orientaux parmi lesquels les amateurs peuvent trouver des estampes. Hormis le Bon Marché, ces magasins sont pour la plupart situés sur la rive droite, essentiellement dans les 2e et 9e arrondissements. La boutique des époux Desoye, rue de Rivoli, Spécialité des objets du Japon, est le lieu de rendez-vous des premiers amateurs de “japonneries”, selon le mot de Baudelaire. La simple curiosité laisse progressivement la place à une véritable passion et au développement d’un goût plus érudit pour cet art.
Si les marchands sont de plus en plus nombreux, deux d’entre eux jouent un rôle essentiel : Hayashi Tadamasa qui arrive à Paris en 1878 comme interprète pour l’Exposition universelle et Siegfried Bing, collectionneur et marchand d’art. Ce dernier, industriel et céramiste allemand, ouvre en 1878, un magasin spécialisé dans les arts de l’Extrême-Orient au 19, rue Chauchat, derrière l’Hôtel Drouot. Dans les années 1880, il est l’un des principaux marchands à promouvoir le japonisme en France et dans le monde. Il participe activement aux premières expositions d’art japonais à Paris : en 1883, à la galerie Georges Petit et en 1890, à l’Ecole des Beaux-Arts. Cette dernière rassemble plus de sept cents estampes provenant des collections les plus prestigieuses constituées depuis le milieu du siècle et contribue ainsi à la reconnaissance de la gravure japonaise comme un art à part entière. Cette exposition est une véritable révélation pour des artistes de courants et de générations divers : Edgar Degas et Mary Cassatt y renouvellent leurs inspirations tout autant que Paul Signac, Henri de Toulouse-Lautrec, Pierre Bonnard, Paul Gauguin ou Maurice Denis. De mai 1888 à avril 1891, Bing publie Le Japon artistique. Documents d’art et d’industrie, revue mensuelle rédigée en trois langues – français, anglais et allemand – pour toucher une clientèle devenue internationale. Imprimée par Charles Gillot et illustrée de planches en couleurs, elle constitue une source féconde pour les artistes.
Hayashi se lance aussi rapidement dans le commerce d’art et fonde sa propre société en 1889. Il devient l’un des interlocuteurs privilégiés des amateurs japonisants en Europe, contribuant largement à la propagation du japonisme. S’il vend de très nombreuses estampes jusque dans les années 1890, il est également le premier collectionneur et vendeur nippon de peintures impressionnistes, réalisées par des artistes ouvertement influencés par la gravure ukiyo-e.
La mode de la collection d’œuvres du Japon touche toute une élite parisienne : écrivains (Charles Baudelaire, Emile Zola…), critiques d’art (Edmond de Goncourt, Philippe Burty, Louis Gonse, Théodore Duret…), sculpteurs et architectes (Rodin, Bourdelle, Guimard, Camille Claudel…), industriels et banquiers (Emile Guimet, Henri Cernuschi, Charles Haviland…). La dernière décennie du XIXe siècle et le début du XXe siècle sont ponctués de grandes ventes publiques des collections des premiers amateurs d’estampes japonaises : Burty en 1891, Goncourt en 1897, Hayashi en 1903, Gillot en 1904, Bing en 1906, et bien d’autres. Les catalogues réalisés à l’occasion de celles-ci donnent la mesure de la passion dévorante des collectionneurs pour l’art de ce pays.
Célèbre critique d’art, Philippe Burty, est non seulement l’un des premiers collectionneurs d’art japonais parisiens mais aussi celui qui met à la mode le terme de “japonisme” dès 1872 dans une série d’articles. Sa collection est diffusée largement de son vivant, notamment aux expositions universelles de 1867 et 1878. Dispersée en 1891 à l’Hôtel Drouot, elle trouve acquéreurs auprès de collectionneurs – Paul Durand-Ruel, Henri Vever, Georges Clémenceau – comme auprès de marchands – Bing ou Hayashi. Contrairement à la collection Burty tant exposée au public, celle des frères Edmond et Jules de Goncourt demeure cachée dans la propriété mythique d’Auteuil achetée en 1868, afin d’exposer les curiosités dans un intérieur intime.