Comment Ebihara Hiroko a-t-elle pu ouvrir la porte très fermée du monde des matagi ? Pour retracer son parcours, il faut remonter dix ans en arrière. Alors étudiante en peinture japonaise à Yamagata, à 40km au nord-est d’Oguni, elle travaillait beaucoup sur les animaux dans les zoos, mais “ils leur manquaient quelque chose, une sorte de vivacité, probablement la force de la nature propre aux animaux sauvages”. Un jour, son professeur, spécialiste de la culture des matagi, par le plus grand des hasards, lui a demandé si elle accepterait accompagner une équipe de chasseurs. “Pour moi, c’était d’abord une occasion pour observer les animaux à l’état naturel”, se rappelle-t-elle. Elle a tout de suite accepté, sans savoir que, dix ans plus tard, elle sillonnerait les montagnes avec ces chasseurs traditionnels.
Une fois sur place, elle a été impressionnée par leurs connaissances minutieuses des montagnes et de la faune. Un bon matagi, explique Saitô Shigemi, doit apprendre “à connaître parfaitement l’environnement dans lequel il évolue.” Lui qui arpente les montagnes avec son fusil depuis son enfance connaît par cœur où se trouvent les sources d’eau, les endroits dangereux lorsque l’hiver arrive, comment deviner la taille d’un ours à partir de ses traces. “Ce sont des gens capables de gravir une pente enneigée comme si de rien n’était !” s’exclame Ebihara Hiroko. En effet, de décembre jusqu’en avril, tout est sous la neige à Oguni, et l’accumulation peut frôler quatre mètres dans certains endroits. En cette période, il faut une certaine technique rien que pour se déplacer dans la montagne.
Son maître, Saitô Shigemi, est l’une des dernières personnes qui a vécu l’époque où les matagi vivaient encore en vendant la fourrure et la bile d’ours. On doute aujourd’hui des vertus curatives de cet organe, mais à l’époque, c’est-à-dire avant les années 1950, elle valait “autant que de l’or”, se rappelle le vieux chasseur. Pour les matagi, l’ours est un animal spécial qui permettait d’enrichir le village entier et de survivre au rude hiver. Pour capturer des ours, ils n’hésitaient donc pas à passer une semaine entière dans les montagnes. “On se nourrissait comme on pouvait de ce qu’on chassait. La nuit, on se réchauffait avec un feu de camp”, explique-t-il. A l’époque, les matagi se parlaient entre eux dans une langue particulière lors de la chasse. Elle tire son origine de la langue du peuple aïnou qui vivait dans la région. “Quand j’étais jeune, j’évitais de parler en cette langue”, se souvient le vieux matagi. Car la sanction pour une erreur de langage était lourde. “Il fallait qu’on se jette dans une rivière pour se faire pardonner”, se souvient-il.
Saitô Shigemi a aussi côtoyé des chasseurs légendaires capables de trouver des animaux cachés derrière un tronc d’arbre, à deux kilomètres de distance, et ce sans jumelles. Ces anciens lui ont parlé aussi de l’époque où les chasseurs se servaient de lances pour tuer des ours. Mais de quelle période s’agissait-il ? Il fronce les sourcils et répond : “C’est trop ancien, je ne sais plus.”