Les mangas autour du saké n’évoquent pas tous le point de vue des consommateurs. Plusieurs d’entre eux s’attachent à raconter des histoires qui mettent en scène les producteurs. Parmi eux, deux retiennent l’attention. Le premier, Natsuko no saké [Le saké de Natsuko, éd. Kôdansha, inédit en français] est l’œuvre d’Oze Akira. Prépubliée entre 1988 et 1991 dans Shûkan Morning, cette série aborde les difficultés rencontrées par les agriculteurs et les producteurs de nihonshu. Au-delà de sa volonté de mettre l’accent sur une réalité peu connue de la majorité des Japonais, l’auteur a le mérite de la traiter en adoptant le point de vue d’une femme qui va devoir évoluer dans un univers masculin. Partie travailler dans une agence de publicité tokyoïte, Saeki Natsuko décide de démissionner et de reprendre la brasserie familiale le jour où son frère tombe malade et ne peut plus réaliser son rêve de produire le meilleur saké du Japon grâce à un riz exceptionnel, le Tatsunokishi. Mais pour y parvenir, elle va devoir affronter de nombreuses épreuves. La série a suffisamment tenu en haleine les lecteurs pour qu’une chaîne de télévision, Fuji TV, décide de l’adapter en 1994. Le ton adopté par Oze Akira est résolument plus sérieux que les autres mangas présentés, car il s’agit pour lui de décrire une réalité dont on ne parlait alors pas beaucoup : le dépérissement des campagnes au Japon.
Il va d’ailleurs reprendre ce thème dans une autre série intitulée Kurôdo [Claude, éd. Shôgakukan, inédit en français] publiée entre 2006 et 2009 dans Big Comic Original. Se déroulant dans la préfecture de Shimane, l’une des régions les plus touchées par le vieillissement et la dépopulation, l’histoire raconte comment un Américain, Claude Buttermaker, qui a un peu de sang japonais dans les veines, va tenter de relancer la brasserie de ses ancêtres nippons. La barrière de la langue – Claude ne parle pas japonais et ses interlocuteurs maîtrisent à peine l’anglais et les problèmes administratifs (visa) ne lui facilitent pas la tâche, mais il bénéficie de l’aide de ses nouveaux amis japonais. L’une des forces de ce manga est de décrire avec précision le travail des brasseurs de saké. Oze Akira entraîne le lecteur dans l’ambiance si particulière des brasseries. On sent l’admiration que l’auteur voue à ces hommes qui, à partir d’ingrédients simples, produisent un breuvage aussi subtil. Le choix de Shimane n’est pas seulement lié aux questions démographiques. C’est aussi là que se situe Izumo, l’un des bastions du shintoïsme, religion dans laquelle le nihonshu occupe une place importante puisqu’il est la boisson des Dieux. L’accord parfait.
Odaira Namihei