Je suis venu de Tôkyô pour voir comment la ville se préparait à la Coupe du monde de rugby 2019. Kamaishi est en effet l’un des 12 sites choisis pour accueillir l’événement. Cette petite ville située sur la côte nord-est du Japon (Tôhoku), loin des principales routes touristiques et commerciales, peut sembler un choix étrange pour une compétition sportive aussi importante. Toutefois, Kamaishi occupe une place importante dans le rugby japonais, comme explique Ichikawa Kaori, qui travaille pour l’agence de promotion locale. “Notre équipe de rugby, les Seawaves, s’appelait auparavant Shin’nittetsu (Nippon Steel) Kamaishi. De la fin des années 1970 au milieu de la décennie suivante, elle a remporté sept titres nationaux consécutifs. Sa popularité va donc bien au-delà de la région du Tôhoku”, affirme-t-elle. “Lorsque le Japon a été choisi pour organiser la Coupe du monde 2019, la municipalité de Kamaishi a pensé que c’était un événement idéal pour rendre des couleurs à la région et montrer le retour à la normale dans le Tôhoku après le désastre. Elle a fait une offre en 2014 et elle a été officiellement acceptée un an plus tard.”
Le désastre mentionné par Mme Ichikawa est le tremblement de terre et le tsunami qui ont dévasté la région en 2011. La catastrophe naturelle a gravement endommagé la ville, fait plus de 1 000 morts et aggravé les malheurs du lieu. Malheureusement, Kamaishi, comme toutes les autres grandes et petites communautés dispersées le long de la côte Sanriku, n’en était pas à sa première expérience en la matière. La tragédie qui a frappé la région, il y a sept ans, n’était que la dernière d’une longue liste de catastrophes qui ont touché la région depuis des temps immémoriaux. Sans trop remonter dans le temps, un séisme de magnitude 8,5 s’était produit en 1896, suivi d’un tsunami qui a atteint 30 mètres de haut, détruisant 9 000 habitations et faisant au moins 22 000 morts. La combinaison mortelle s’est reproduite en 1933 et la ville a de nouveau été paralysée, en 1960, par un tsunami causé par le tremblement de terre de Valdivia au Chili, le plus puissant jamais enregistré. La catastrophe de 2011 a été, dans un sens, encore plus ressentie puisque les gens pensaient être enfin à l’abri du danger. “Un brise-lames venait juste d’être construit deux ans auparavant”, se souvient Ichikawa Kaori. “Il mesurait 1 950 m de long et avait une profondeur de 63 m. Il avait fallu trois décennies et 170 milliards de yens pour le bâtir. Il avait même été reconnu par le Guinness World Records comme étant le brise-lames le plus profond du monde. Pourtant, le 11 mars, les vagues du tsunami l’ont facilement dépassé et emprunté un chemin mortel vers notre ville.”
Née à Kamaishi, Ichikawa Kaori a passé presque toute sa vie dans sa ville natale. Depuis 2011, elle participe aux efforts locaux de reconstruction de la ville. Aux côtés de trois autres femmes, elle est actuellement responsable du Rugby Café Kamaishi, un espace ludique situé dans le centre commercial Sea Plaza où l’on peut en apprendre davantage sur la gloire passée de l’équipe locale. Elle rappelle que le tsunami a atteint ce bâtiment quand la rivière voisine a débordé. Comme elle vit et travaille dans la partie ouest de la ville, elle et sa famille ont échappé au désastre, mais certains de ses amis et connaissances n’ont pas été aussi chanceux. “Après le 11 mars, nous avons dû repenser notre approche de la vie dans notre ville natale car, comme vous le savez, dans cette région, ce n’est pas une question de “si” mais de “quand” un autre tsunami aura lieu”, dit-elle. “Certaines personnes voulaient ériger de nouvelles barrières plus hautes ; d’autres ont dit que c’était juste un gaspillage d’argent et que tout le monde devrait cesser de vivre près de la mer et déménager plus loin et plus haut. En définitive, bien sûr, c’est à chacun des membres de notre communauté de décider comment il veut mener sa vie.”
Le jour de notre visite, une quinzaine de personnes sont réunies autour d’un grand téléviseur pour regarder les attaques des Seawaves qui jouent à Kyûshû, au sud du pays. L’équipe a perdu les deux premiers matchs de la saison et c’est pour elle un match important à remporter. Heureusement, après un départ lent, ils marquent quatre essais et battent facilement Kyûden Voltex, 30 à 10. En octobre 2012, rugby et tremblement de terre se sont mêlés de façon plutôt désagréable quand, lors d’un match contre les Seawaves, un joueur de Tôkyô, Yokogawa Musashino, a raillé ses adversaires de Kamaishi en disant : “Le tremblement de terre vous a-t-il rendu dingues ?” Le fautif a été banni pendant un mois par son équipe, qui a présenté ses excuses et suspendu temporairement ses sorties.