A l’ouest de Tôkyô, on trouve un marché d’un nouveau genre où les gens viennent donner ce dont ils n’ont plus besoin.
Par un chaud dimanche après-midi, je me trouve à la sortie de la gare de Kunitachi, dans la banlieue ouest de Tôkyô. Les rues sont toujours mouillées, mais heureusement, la pluie de la nuit dernière a cédé la place à un ciel bleu profond, ce qui signifie que l’événement d’aujourd’hui – principale raison de ma présence ici –ne sera pas annulé.
La sortie sud de la gare donne sur une assez grande place. En bas à droite, je trouve ce que je cherche : le Kunitachi 0 yen Shop. Lancé il y a six ans par l’écrivain et résident de Kunitachi, Tsurumi Wataru, il s’agit d’une sorte de marché aux puces assorti d’une nuance. “Tous les deuxièmes dimanches du mois, les gens apportent des objets dont ils n’ont pas besoin, les étalent sur le trottoir et les donnent gratuitement à la personne qui s’y intéresse”, explique l’auteur entre autres du Datsu Shihonshugi Sengen [Sortir du capitalisme, inédit en français], du controversé Kanzen Jisatsu Manyuaru [Mode d’emploi complet du suicide, inédit en français] et du récent 0 en de ikiru [Vivre avec 0 yen, inédit en français]. “Au lendemain du 11 mars 2011, de nombreuses manifestations et actions populaires se sont déroulées à Kunitachi, à Kôenji et dans d’autres quartiers de l’ouest de Tôkyô (voir Zoom Japon n°10, mai 2011). Mes amis et moi étions familiers du phénomène des Marchés Vraiment Vraiment Gratuits (MVVG) et nous avons décidé de lancer le concept ici aussi”, raconte-t-il.
D’abord né en Nouvelle-Zélande au début des années 2000 pour protester contre une conférence sur le libre-échange, les MVVG se sont rapidement répandus dans le monde entier comme moyen de répondre à l’idée capitaliste du libre marché qui est en réalité basée sur le consumérisme et la concurrence économique. Je trouve un peu ironique le fait qu’un tel marché libre ait lieu à Kunitachi, à cinq minutes à pied du campus principal de l’Université Hitotsubashi, qui est non seulement l’une des principales institutions éducatives du Japon, mais aussi la meilleure dans les domaines économique et commercial. Selon Tsurumi Wataru, il existe actuellement une dizaine de MVVG dans l’Archipel. “En gros, vous pouvez organiser ce genre de chose n’importe où”, explique-t-il. “Il suffit de trouver un endroit agréable avec du passage où les flics ne viendront pas vous déranger. Ce n’est pas si difficile si vous connaissez votre ville ou votre quartier. Les gens n’utilisent plus vraiment les espaces publics et les rues. Ils devraient certainement se montrer plus actifs dans ce domaine. C’est comme si les arbres et les plantes envahissaient lentement les rues des villes abandonnées. Je pense que d’avoir créé cet espace libre de manière aussi subtile s’est révélé plutôt agréable. C’est une bonne chose pour la communauté”.