Avant que Naruhito prenne sa succession, le souverain japonais a fait ses dernières apparitions publiques.
Une foule compacte s’entasse devant les portes du palais impérial en ce matin du 23 décembre, pour la traditionnelle cérémonie d’anniversaire de l’empereur Akihito. Mais cette année, l’affluence est sans égale. “C’est la première et dernière fois que je peux lui rendre hommage”, explique Nirei Setsuko. Cette vieille dame a fait plusieurs heures de train seule pour venir remercier personnellement Akihito. “Sa Majesté l’empereur a toujours fait preuve de bienveillance à notre égard”, dit-elle. Cent-vingt-cinquième descendant de la supposée plus ancienne dynastie du monde – dont l’ancêtre et fondateur mythique du Japon serait l’empereur Jimmu qui régna en 660 av J.C – Akihito agé de 85 ans a annoncé qu’il abdiquerait en 2019 en raison de son âge et de sa santé fragile après une opération du cœur. Une décision qui a mis en émoi le Kunaichô, l’agence gouvernementale chargée des affaires familiales et administratives de la Maison impériale. L’Archipel n’avait pas connu une abdication depuis l’empereur Kokaku en 1817. “C’est la dernière fois que je vois sa Majesté l’empereur et j’en suis bien sûr attristé”, confie Mochitsugi Masahiro, un prêtre shintoïste qui attend aussi depuis deux heures pour pouvoir assister à la première apparition matinale de l’empereur. Selon la croyance shintoïste, la lignée impériale descendrait directement de la déesse du soleil Amaterasu, qui a inspiré le nom et le drapeau nippon. “Pour moi, et je n’ai pas peur de le dire, c’est un dieu vivant”, affirme-t-il.
A 9 heures, la place de Nijûbashi, entrée principale du palais, s’est transformée en une véritable marée humaine, dont le flux est orchestré par un service d’ordre spectaculaire. Employés de bureau, PDG, yakuzas, aristocrates, vieillards, enfants, tout le Japon s’est rassemblé. “Je ne pensais pas venir à cause de la foule, mais finalement je me suis dit que je devais voir une fois l’empereur Heisei. Il est le symbole de mon époque”, lance un vieil homme en grelottant. Enfin, les portes du palais s’ouvrent. La foule trébuche derrière une rangée de prêtres shintoïstes devancée par une délégation de l’Agence impériale portant des étendards célébrant les 30 années de règne d’Akihito. Au loin, on entend le son nostalgique d’une flûte shakuhachi. L’heure est solennelle. 50 000 personnes avaient été prévues pour le “dernier anniversaire d’Akihito en tant qu’empereur”. Il y en a finalement plus de 80 000. “Serrez les rangs, avancez !” crient les haut-parleurs. A pas de tortue, la foule traverse les jardins colorés des derniers érables flamboyants. Puis reforme une masse compacte au pied du balcon impérial, protégé par un épais vitrage. “La première apparition de l’empereur aura lieu à 10h40, suivie de trois autres”, explique le prêtre shinto qui vient célébrer l’anniversaire de l’empereur pour la troisième fois de sa vie. Engourdie par le froid, la foule attend silencieusement.
Brusquement, on entend comme un battement de milliers d’ailes qui recouvre la foule tandis qu’une nuée de drapeaux aux couleurs du disque solaire claquent au vent : Akihito est au balcon. Il agite la main, le sourire bienveillant, encadré à sa droite par le prince héritier Naruhito et son épouse Masako, et à gauche par son inséparable épouse l’impératrice Michiko, leur fils cadet et sa famille. Les drapeaux se baissent et la foule fait à nouveau silence. Le souverain s’exprime très lentement, prenant le temps de regarder son peuple en le remerciant d’être venu si nombreux lui souhaiter bon anniversaire. Il exprime ensuite sa profonde tristesse pour toutes les victimes des désastres qui ont touché cette année le Japon. Tous les yeux sont rivés vers lui et son épouse qui pendant trente ans ont fait des visites incessantes dans les centres de refuges et les hôpitaux. “Quelle gentillesse !” murmure Sumino Yukiko en essuyant ses larmes. Venue d’Osaka, elle se souvient de la venue du couple impérial lors du grand tremblement de terre de Kôbe en 1995. “C’était la première fois qu’on voyait un couple impérial s’agenouiller pour parler à la même hauteur que les malades”, raconte-t-elle. Akihito termine. “Je prie pour que cette nouvelle année nous apporte à tous la santé et le bonheur”. Il est immédiatement salué en retour par les “Banzaï, banzaï !” de la foule émue. Dans un sondage de 2016, 90 % des Japonais trouvaient les activités d’Akihito trop importantes, preuve de l’immense respect dont jouit le monarque. Bien plus populaire que l’actuel Premier ministre Abe Shinzô, il n’a pourtant officiellement aucun rôle politique. “C’est le symbole de la nation et de son unité”, rappelle Tanabe Keiko en se dirigeant vers la sortie. Cette trentenaire est venue pour la dixième fois saluer Akihito. “Sa Majesté l’empereur a toujours su réconforter les gens dans la souffrance, c’est un homme de bien”, dit-elle les yeux humides.