Lorsqu’on évoque son potager et qu’on lui demande comment s’est passée la saison estivale, les yeux d’Asafumi brillent alors d’une joie enfantine. Il raconte la chaleur, les légumes qui étaient en avance, les kabocha (potirons) récoltés dès le mois d’août. “J’ai tout vendu en août-septembre”, dit-il. Il a beaucoup réfléchi à l’arrosage, il a cherché, essayé, taluté, sculpté, creusé des sillons. Nous sortons par l’arrière de la maison pour aller voir cela de plus près. Deux chiens et quelques poules nous regardent passer. Puis nous pénétrons dans le royaume des choux sur lesquels perle la rosée matinale. Ils sont grands, vigoureux, tout va bien pour eux. Nous nous dirigeons donc vers les serres de semis. Certains semis sont chauffés dans une structure de sa fabrication. Les plants minuscules sont couvés comme des bébés. Il explique qu’il arrose parfois ses semis en espaçant l’arrosage dans le temps : une première série de semis est arrosée, une autre quinze jours après, et une troisième encore quinze jours plus tard. En 2018, il a pratiqué une irrigation gravitaire sur une planche d’épinards où l’eau s’écoule dans trois rigoles.
Dans son potager, il y a toujours un peu de Japon : Ses graines en proviennent, et certaines techniques de culture également. Ainsi il nous montre et nous explique qu’il a fait venir du Japon des tubes plats pour un arrosage très fin, qui part sur les côtés en se jetant en ellipse au-dessus des feuilles pour ne pas les mouiller … “car les feuilles n’ont pas besoin d’être mouillées, elles n’aiment pas ça”. Expérimenter, tâtonner, chercher, se renouveler, cet autodidacte garde intacte sa mentalité de créateur. “Il faut vider tout le temps, changer, innover, sinon ça pourrit à l’intérieur !”
Pour ses légumes aussi, il est toujours en quête, en mouvement. Ses graines sont japonaises, sa terre française, et sur une surface constante, il aime planter des nouveautés. Quand il cultive une nouvelle espèce, il en abandonne une autre. Ainsi cette année, il a fait pousser des kabocha allongés et une espèce de petits melons. Normalement ils sont petits comme des balles de tennis, mais “je ne sais pas pourquoi, chez moi ils sont plus gros”. Il nous montre également de minuscules tomates. “Au Japon, on les appelle micro-tomates. Elles ont poussé là toutes seules cette année. Je les avais cultivées il y a longtemps, il devait rester quelques graines dans le sol”. Elles sont très jolies, leur esthétique devrait plaire aux chefs. Elles ont aussi bon goût, surtout en fin de saison.
C’est un artiste qui se lance dans la description des goûts de ses légumes. Il parle avec délice des goûts qui ne sont jamais les mêmes. Le goût de marron du kabocha, qu’on ne retrouve pas dans notre potimarron français, les goûts changeants du navet kabu, son légume emblématique, parfois kaki, parfois pomme et même poire. Ce navet mal aimé pour son goût souvent dérangeant et son amertume, retrouve avec lui toute sa place dans les assiettes des restaurants. Ses arômes, sa fraîcheur en font un légume délicieux dont il suffit d’enlever la peau pour goûter à sa chair savoureuse, à tel point que chacun se demande si c’est un légume ou un fruit !
Et si on lui demande s’il sait pourquoi les goûts du navet sont si changeants, il se renfrogne et nous dit qu’il ne faut pas chercher à tout expliquer, que le dieu qui veille sur son potager est “lunatique” !
Nous goûtons les tomates qui sont encore bien présentes en ce début octobre. Pour nous surprendre, il nous fait goûter une tomate qui a bénéficié du soleil direct et une du soleil indirect. Quelle surprise de pouvoir sentir des goûts si différents !
Pas de secret, pas de magie ? Non, juste s’adapter à la terre (la sienne est argileuse et ne se laisse pas apprivoiser facilement). Il avoue d’ailleurs, devant sa serre de patates douces encore bien au chaud dans la terre, qu’il va devoir jouer à l’archéologue avec son pinceau pour extraire les patates douces de la terre argileuse qui leur colle à la peau ! Quand va-t-il les déterrer ? C’est le légume qui décide. Idem pour l’arrosage. Observer permet de savoir quand il faut récolter, quand il faut arroser.
Lorsqu’on écoute parler Asafumi, on sent une sérénité, une harmonie qui se dégage, comme les Wa, Kei, Sei et Jaku de la voie du thé édictée par Sen no Rikyû. Wa pour l’harmonie avec les autres et la nature, les interactions positives qu’il a avec le monde qui l’entoure. Kei pour le respect qu’il a envers les personnes, leurs paroles, leur façon d’appréhender le monde. Il écoute, échange, reçoit et donne, dans une position d’égal à égal, voire d’humilité. Sei pour la pureté, une notion qui lui est chère : pureté du corps, mais aussi de l’esprit, du cœur, de l’âme (kokoro), qu’il faut “vider” régulièrement pour ne pas que ça pourrisse, comme il aime à le dire, un regard neuf, curieux, sans jugement mais toujours dans l’émerveillement. Et enfin Jaku pour la tranquillité qui se dégage de sa personne, une sérénité d’esprit pour une grande réceptivité. Une philosophie qu’il a lui-même nommée Nô Dô, la voie du potager dans un livre éponyme.