L’œuvre de Tsuge Yoshiharu est marquée par ses expériences de voyage. Takano Shinzô nous le rappelle.
Le nom de Takano Shinzô n’évoque peut-être pas grand-chose, même aux accros du manga. Pourtant, au cours des 50 dernières années, il a beaucoup œuvré dans ce secteur. Alors que le mangaka Shirato Sanpei et l’éditeur Nagai Katsuichi sont généralement mis en avant pour avoir cofondé Garo en 1964, Takano, qui a rejoint l’équipe en 1966 en tant que directeur de la publication, est celui qui a supervisé le contenu artistique et réalisé de nombreuses interviews, faisant du mensuel l’une des publications les plus influentes de la nouvelle gauche. Puis, en 1967, sous le pseudonyme de Gondô Susumu, il a cofondé le Mangashugi [Manga-isme], probablement la première revue au monde consacrée à la critique du manga.
En 1971, sentant que Nagai n’appuyait plus sa vision éditoriale, il a quitté Garo pour créer son propre périodique, Yagyô, que de nombreux contributeurs de Garo ont rejoint. Mais ce n’est pas pour parler de manga que nous l’avons rencontré. En fait, Takano Shinzô est probablement le meilleur connaisseur des voyages que Tsuge Yoshiharu a entrepris au Japon, une activité dans laquelle le mangaka s’est lancé vers l’âge de 30 ans. Elle a donné lieu à une série de récits de voyage très appréciée, laquelle a inspiré ses mangas en forme de tabi-mono (récit de voyages).
On dit souvent que Tsuge Yoshiharu est une personne difficile à approcher. Comment l’avez-vous rencontré pour la première fois ?
Takano Shinzô : C’est Mizuki Shigeru [auteur notamment de Non NonBâ et Kitaro le repoussant] qui me l’a présenté. Il était apparemment intimidé par ma personne parce qu’à l’époque, je travaillais au Nihon Dokusho Shimbun [publication littéraire très influente dans les milieux de la gauche japonaise dans les années 1950 et 1960]. Il me considérait comme un grand intellectuel. J’ai fini par aller chez lui où nous avons passé deux heures à bavarder. Tsuge parlait le plus souvent… En fait, il y a eu beaucoup de longs moments de silence dans notre conversation lorsque nous fumions cigarette sur cigarette. Pourtant, il était facile de sentir qu’il était différent des autres mangaka issus de la période kashihon [nom donné aux ouvrages en location à l’époque où, après la guerre, l’achat de livres était encore un luxe. De nombreux mangaka ont commencé leur carrière en dessinant pour des éditeurs de kashihon]. Il était capable de tenir à lui tout seul une conversation sur la littérature. Finalement, il faisait si sombre dans la pièce que nous pouvions à peine nous voir. (rires)
Il a fini par s’habituer à vous.
T. S. : Je suppose que vous pouvez dire ça. Il a compris que nous étions semblables. Nous étions tous les deux solitaires ; nous n’avions pas d’amis, mais sans que nous en soyons attristés et nous partagions le même intérêt pour les voyages. Aussi, lorsque j’ai rejoint Garo plus tard, je n’ai eu aucun problème à travailler avec lui.
Puisque nous parlons de voyages, vous avez tous deux parcouru le Japon pendant longtemps, vous rendant souvent dans les régions les plus pauvres du pays à la recherche de villages abandonnés et de sources thermales en montagne elles aussi mal en point.
T. S. : Etudiant, j’étais attiré par des lieux touristiques plus classiques tels que Kyôto et Nara. Je m’intéressais à l’histoire et j’aimais visiter les temples. Tsuge, au contraire, a toujours été obsédé par les lieux où personne ne se rend, comme lorsqu’il voyageait avec Tateishi Shintarô qu’il connaissait depuis l’époque kashihon. Certains de ces endroits désolés sont devenus célèbres (en quelque sorte) grâce à lui. Il y a un onsen [source thermale] que j’ai visité, il y a deux ans, où les habitants ont organisé un événement lié à Tsuge deux années de suite.