Vous vous êtes rendu dans de nombreux endroits que Tsuge a présenté dans ses mangas. Quelles ont été vos impressions à l’époque ?
T. S. : J’ai compris pourquoi il les aimait tant. En d’autres termes, visiter ces lieux – je pense surtout à Kita Onsen dans la préfecture de Tochigi, au nord de Tôkyô – revient à connaître l’homme lui-même, son esprit et son âme. Bien sûr, beaucoup de ces endroits ont changé, les auberges ont été démolies et reconstruites. Il est donc difficile de retrouver l’atmosphère du moment, mais cela mérite quand même le coup de s’y rendre.
Qu’en est-il de la préfecture de Chiba où il a passé une partie de son enfance et sur laquelle il a écrit beaucoup de ses histoires ?
T. S. : La plupart des lieux existent toujours. Encore une fois, Chiba est une préfecture très authentique. C’est pourquoi Tsuge l’apprécie tant. A Futomi, où se déroulent des scènes de Nejishiki (voir p. 6), les autorités locales ont même apposé une plaque sur laquelle le nom de Tsuge Yoshiharu a été mal orthographié. Les gens l’ont signalé, mais apparemment, elles ne prévoient pas de corriger. Nejishiki, bien sûr, est une histoire surréaliste et onirique, mais même dans une histoire plus réaliste comme Incident au village de Nishibeta (voir p. 5), vous pouvez voir la créativité de Tsuge en action. Un patient de l’hôpital psychiatrique local, par exemple, s’était vraiment échappé avant la visite de Tsuge, mais l’histoire qu’il raconte est complètement différente. En outre, le type qui se coince la jambe dans un trou n’était pas le patient évadé, mais le mangaka Shirato Sanpei qui voyageait alors avec lui.
Comment votre façon de voyager a-t-elle été affectée par Tsuge ?
T. S. : Je me rendais dans des sources thermales même avant de le rencontrer, mais à la suite de ses voyages, j’ai commencé à rechercher le même genre d’endroits moins fréquentés qu’il préférait. Dans certains cas, l’élève a même dépassé le maître. Par exemple, il s’est rendu trois fois à Kita Onsen alors que j’y suis allé dix fois (rires). Même quand je prends des photos, j’ai l’impression de disparaître et de voir les choses à travers ses yeux. En fin de compte, je me suis mis à ressembler à Tsuge.
Quelle est la différence entre Tsuge le dessinateur de mangas et Tsuge l’auteur de récits de voyages ?
T. S. : C’est surtout la différence entre la fiction et la réalité, l’art et le documentaire. Ses récits de voyage se lisent comme un journal intime détaillant ce qu’il a fait et ce qu’il a vu, les personnes avec lesquelles il a voyagé et celles qu’il a rencontrées. Parfois, il s’arrête pour méditer sur quelque chose ou assister à une scène particulièrement poignante, c’est pourquoi on trouve aussi un certain élément de philosophie dans ses écrits de voyage. En revanche, les mangas relèvent de la littérature pure.
Voyez-vous encore de temps en temps Tsuge ?
T. S. : Bien sûr. C’est le genre de gars qui continue littéralement à parler pendant des heures. La plupart des gens finissent par se lasser de ses divagations parfois philosophiques, parfois absurdes, mais j’aime l’écouter. Je suppose que nous nous complétons bien.
Propos recueillis par J. D.