Pensez-vous que le Japon (ou au moins ses grandes villes) se transformera en un melting pot semblable à ce que vous avez connu dans d’autres pays ?
Y. Y. : Je peux seulement espérer. Bien sûr, le changement sera lent et progressif, ce qui est bien. Je ne veux pas que le Japon répète l’erreur commise par le Royaume-Uni dans les années 1950 lorsque, pour accroître leur main-d’œuvre, ils ont attiré un nombre considérable d’immigrants des îles des Caraïbes sans se préparer aux défis sociaux que cela impliquait (voir Zoom Japon n°90, mai 2019). Les conséquences de cette politique se font encore sentir. J’espère que nous gérerons mieux la question de l’immigration que cela, mais je ne m’inquiète pas vraiment de la dilution de la culture japonaise, mais plutôt de celle des immigrants. Après tout, il faut changer pour rester le même, comme a dit un célèbre écrivain italien. Espérons que des sportifs comme la joueuse de tennis Ôsaka Naomi (de mère japonaise et de père noir américain) aideront les gens à comprendre que la couleur de la peau n’est pas si importante et que le fait d’être japonais ne veut pas dire que nous devons tous être identiques.
C’est intéressant de noter que vous avez mentionné Ôsaka Naomi car, lorsqu’un sportif ou une sportive d’aspect non japonais se distingue, il est immédiatement accepté et célébré, mais lorsque Ariana Miyamoto, dont le père est Afro-Américain, a remporté le concours Miss Univers Japan en 2015, plusieurs personnes ont réagi en disant qu’elle n’était pas une beauté japonaise typique.
Y. Y. : De toute évidence, il est impossible de réaliser l’intégration sans douleur. Nous devons nous adapter aux difficultés de croissance de ce processus. A mon avis, le Japon en tant que communauté a tendance à être plutôt compatissant. J’espère donc que ce bon côté l’emportera sur la discrimination et les tendances xénophobes d’une minorité. Comme je l’ai dit, j’ai vécu dans d’autres pays et j’ai vu la douleur et la haine. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter ces problèmes. En réalité, les choses changent déjà.
Votre livre explique très bien la culture et la société japonaises en termes généraux. Y a-t-il quelque chose en particulier qui définit la culture japonaise ?
Y. Y. : Chaque pays a un slogan censé symboliser son caractère, mais celui-ci finit curieusement par mettre en évidence un défaut fondamental de sa société. La devise de la France, par exemple, est “Liberté, Egalité, Fraternité”, pourtant le pays semble cruellement en manquer. La Déclaration d’indépendance américaine affirme : “Nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux…” car il existe une grande inégalité dans cette société. En ce qui concerne le Japon, notre première Constitution aurait été écrite par le prince Shôtoku au VIIe siècle. Son premier article disait “Nous devons respecter l’harmonie”, en raison du grand nombre de conflits à l’époque. Bien entendu, l’harmonie sociale est considérée comme l’une des caractéristiques déterminantes du Japon, et c’est vrai, du moins en partie. Mais personne ne sait vraiment ce qu’est la culture japonaise, car elle évolue constamment. Le Japon que j’ai découvert à mon retour, il y a sept ans, était certainement différent du pays dans lequel j’avais grandi.
Y a-t-il quelque chose que les gens devraient savoir avant de se rendre au Japon ?
Y. Y. : Il est très difficile de donner une réponse unique à cette question, mais je dirais que la capacité des Japonais à communiquer avec des personnes qui ne parlent pas leur langue est constamment sous-estimée, en particulier par les Japonais eux-mêmes. Nous étudions tous l’anglais à l’école et nous le maîtrisons de manière rudimentaire. Mais comme nos compétences linguistiques sont généralement jugées uniquement dans le but de réussir un examen, nous n’avons donc pas la confiance suffisante pour les utiliser afin de communiquer avec d’autres personnes.
Avez-vous découvert quelque chose que vous n’aviez pas réalisé auparavant ou que vous teniez pour acquis au sujet du Japon pendant l’écriture de votre livre ?
Y. Y. : Ce n’est pas quelque chose que je ne savais pas au préalable, mais je me surpris de constater à quel point le Japon est éphémère, dans la mesure où le cliché instantané que vous prendrez de lui à un certain moment ne restera vraisemblablement valable que pendant une dizaine d’années. Le Japon moderne a traversé de nombreux bouleversements depuis que nous nous sommes ouverts au monde au milieu du XIXe siècle. Depuis lors, nous avons connu une modernisation rapide. Nous avons accepté puis adopté des éléments de civilisation et de culture occidentales, connu une industrialisation rapide, participé aux guerres du colonialisme impérial et aux guerres mondiales, subi les bombardements atomiques, vécu le relèvement d’après-guerre, une urbanisation extrême et le déclin de la campagne, le vieillissement progressif de la population sans oublier les typhons et les tremblements de terre. Dans ce contexte, la période de stagnation économique des années 1990 est une accalmie presque bienvenue dans cette folle période de bouleversements survenus au cours des 200 dernières années.
Propos recueillis par Jean Derome