Kai Ken est à la tête d’un refuge pour travailleurs étrangers dans la préfecture de Gifu. “Je protège quatorze stagiaires qui rencontrent le même type de situation, mais il est très difficile de les défendre. Si on demande une enquête aux autorités, elles ne sont jamais menées en profondeur”, regrette-t-il. “On ne va pas chercher l’origine du problème et les entreprises dissimulent les preuves de leurs agissements et s’en sortent ainsi.” Les conditions d’accueil de ces ouvriers ne semblent pas s’améliorer au fur et à mesure des années, malgré la bonne volonté des autorités gouvernementales. “Le type de réponses que ces stagiaires rencontrent lorsqu’ils s’élèvent contre leurs employeurs et tentent de se faire entendre auprès des pouvoirs publics sont de l’ordre de ‘Rentre chez toi si tu n’es pas content !’ ou ‘Quand tu auras fini ton contrat de travail, rentres et quelqu’un d’autre pourra être recruté à ta place’.”
Ressortissant chinois de 26 ans, Kou Seigo et sa main broyée a fait la Une des médias japonais, l’hiver dernier. Arrivé au Japon en 2015, en tant que stagiaire non-qualifié, le jeune homme qui ne parle pas le japonais, explique sa situation. “J’ai travaillé dans une usine et tous les matins, je devais actionner certaines machines tout seul et je me suis blessé.” Il sort de sa poche, une main très abîmée. Alors qu’il était hospitalisé, pour une période de deux mois, son employeur est venu le voir pendant sa convalescence “pour que je signe une attestation selon laquelle l’accident n’avait pas eu lieu au sein de l’entreprise”, explique-t-il. “Je ne voulais pas signer le papier. J’ai cherché de l’aide pour porter plainte.” “Une démarche rare”, souligne Ibusuki Shôichi. “Ces travailleurs sont souvent isolés, ne parlent pas japonais et n’ont aucune connaissance de leurs droits.” Pour l’avocat, “99 % des mauvais traitements ne sont pas connus.”
Comme Eng Pisey, Kou Seigo a été bercé d’illusions avant d’arriver sur le sol japonais. Il avait de grands espoirs. “On m’avait dit qu’une fois arrivé à Tôkyô, j’allais pouvoir étudier le japonais et trouver du travail rapidement. J’ai payé 30 000 yens pour venir et j’ai été blessé presque immédiatement à l’usine. Je me suis tout de suite retrouvé dans une situation compliquée”, déclare-t-il. Ibusuki Shôichi est navré d’entendre de tels témoignages. “Ce jeune homme n’est malheureusement pas un cas isolé. Et puis l’un des plus gros problèmes de ce type d’affaires est aussi de parvenir à contrôler ceux qui jouent les intermédiaires”, ajoute-t-il.
Les chiffres faisant état de mauvais traitements réservés à ces travailleurs non-qualifiés continuent d’alimenter les pages des journaux japonais. Récemment, on pouvait lire dans le Mainichi Shimbun ou le Japan Times, ces données officielles délivrées par le ministère de la Santé du Bien-être et du Travail. En 2018, 231 de ces stagiaires n’ont pas été indemnisés pour leurs heures supplémentaires et 58 autres étaient rémunérés bien en-dessous du seuil légal. Parmi les causes de décès de ces stagiaires étrangers alors qu’ils étaient dans l’exercice de leurs fonctions : la noyade après avoir chuté du bateau à bord duquel il travaillait ou le surmenage, rapporte le Japan Times. Dix-sept d’entre eux se sont suicidés après n’avoir bénéficié que de quatre jours de repos sur une période de trois mois et demi de travail.
Selon la loi japonaise, les entreprises ont pourtant des droits et des devoirs envers ces stagiaires étrangers. Le gouvernement a mis en place de nouvelles mesures, en parallèle de la création de ce visa, dans le but d’accentuer la surveillance et la protection de ces travailleurs parfois en souffrance. La bonne nouvelle pour les détenteurs du statut de stagiaires non-qualifiés reste qu’ils peuvent désormais faire une demande pour ce visa de “compétences spécifiques” qui, en théorie, semble leur apporter une plus grande sécurité en matière de droit du travail.
Johann Fleuri