Expert de la cuisine servie à l’époque d’Edo (1603-1868), Kaibara Hiroshi propose de découvrir les saveurs du passé.
Au détour d’une ruelle d’un quartier anonyme, ni la façade sobre, ni l’intérieur minuscule de style bistrot de quartier, ne nous fait penser qu’il s’agit là d’un restaurant spécial, voire même rare dans la métropole japonaise. Dans le restaurant Taika , on peut déguster une cuisine de l’époque d’Edo, période qui a débuté au XVIIe siècle et s’est terminée au cours de la seconde moitié du XIXe, lors de l’ouverture du Japon.
C’est au cours de cette période que s’est créé le socle de la cuisine japonaise actuelle, avec l’apparition des stars de la gastronomie nipponne : nouilles soba, tempura, anguille grillée ou sushi (tel que nous le connaissons aujourd’hui). Les restaurants pullulaient dans les rues de la ville, pour répondre aux demandes d’une main-d’œuvre venue en nombre travailler sur les chantiers de la nouvelle capitale. Les plats mentionnés ci-dessus étaient à l’origine servis dans des échoppes, les fast-foods de l’époque.
Pourtant, même les Japonais n’ont qu’une vague image de la cuisine de cette époque et ne savent pas à quoi elle ressemblait véritablement. Bien évidemment, on ne peut pas résumer si facilement les 250 ans d’histoire de la pax Tokugawa ni sa cuisine qui a dû connaître certaines évolutions. Mais déjà, sans parler des produits, les assaisonnements de base n’étaient pas tout à fait identiques à ceux d’aujourd’hui.
On n’utilisait pas d’algue kombu pour le dashi, le bouillon était préparé uniquement à partir de katsuo-bushi (bonite séchée), qui lui procure un arrière-goût plus aérien. La sauce de soja, l’un des ingrédients phares de la cuisine japonaise d’aujourd’hui, a mis du temps à se répandre dans l’est du Japon, et avant le XVIIIe siècle, il était plus courant d’utiliser un condiment appelé irizake, préparé à base de saké réduit avec des prunes salées et parfois avec du katsuo-bushi. Son goût est moins prononcé que celui de la sauce de soja, et laisse les saveurs du produit s’exprimer. Les sashimis étaient dégustés avec cet irizake qui se marie mieux avec des poissons à chair blanche ou des coquillages. Même le miso (pâte de soja), que l’on appelle le miso d’Edo et que la population locale appelait tout simplement “miso rouge” était différent. La proportion de kôji de riz était plus élevée que pour les autres miso, et permettait de réaliser la fermentation dans un délai relativement court de deux semaines, afin de répondre à la demande beaucoup plus importante que l’offre. Ce miso apportait une saveur plus douce et plus fraiche, moins persistante au palais que si l’on ajoute du sucre dans les plats, ce que l’on fait aujourd’hui.
Tout cela fait qu’en dégustant les mets servis chez Taika, on peut être agréablement surpris par la finesse et la légèreté du goût. Quelque chose de limpide et serein traverse cette cuisine, et ce, quels que soient les ingrédients et les types de cuissons. Une sensation à l’opposé de l’image que nous avons de la reconstitution des plats historiques, que nous imaginons rustiques, lourds aux contours flous… C’est une vraie découverte.
Selon le chef Kaibara Hiroshi, cette particularité viendrait de l’esprit des gens d’Edo, qui n’aimaient ni le superflu ni les fioritures. Nous pouvons véritablement sentir le goût de chaque produit, ce qui est autrement exigeant, car la qualité de chaque ingrédient apparaît devant vous sans fard. Aujourd’hui, on compare souvent la cuisine de Tôkyô et de Kyôto en qualifiant la première de grasse, salée et forte en goût et la seconde de sophistiquée, délicate et harmonieuse, alors qu’avec la cuisine de chez Taika, on comprend que c’est historiquement beaucoup plus complexe que ce qu’on a tendance à penser.