Les achats d’épicerie japonaise traditionnelle se font presque tous les jours à pied ou à vélo. Cela peut s’avérer difficile pour des personnes âgées quand il s’agit de transporter des marchandises lourdes comme des sacs de riz et des boissons. La contrainte physique liée aux achats est souvent citée comme un obstacle à la consommation chez les personnes âgées, et le développement des achats en ligne avec la livraison à domicile offre une solution pratique à ce problème.
Afin de répondre au défi posé par le commerce électronique, les magasins de proximité omniprésents proposent des services à ceux qu’on a commencé à désigner sous l’expression kaimono nanmin (“naufragés du commerce”). Parmi eux, il y a le goyôkiki (souvent proposé par le passé dans les épiceries) qui consiste à demander aux clients au moment de la livraison quels produits ils souhaiteraient avoir la prochaine fois.
Pour les personnes âgées qui préfèrent encore se rendre à la supérette, on a aggrandi pour elles la taille des étiquettes de prix, mis à disposition des paniers plus légers, créé des allées plus larges et proposé des étagères plus basses. Les magasins de proximité ont également commercialisé des bentô (boîte-repas) à destination des personnes âgées et ont accru le rayon des wagashi (gâteaux japonais traditionnels). Ils ont également commencé à collaborer avec les administrations locales afin de charger leur personnel de s’assurer de l’état des clients âgés vivant seuls lors des livraisons. En novembre 2013, Seven-Eleven a noué un premier partenariat en ce sens avec les autorités de la préfecture de Fukuoka, sur l’île de Kyûshû, et une organisation locale de protection des personnes âgées. Depuis, l’entreprise a été contactée par d’autres collectivités locales qui ont abouti à plusieurs centaines d’accords.
Les grands magasins sont un autre secteur important du commerce de détail qui a récemment été confronté à une forte concurrence et à une baisse des ventes, ce qui les a obligés à s’adapter à une clientèle en constante évolution. Afin de fidéliser les consommateurs plus âgés, de nombreux magasins ont été réaménagés afin de disposer désormais de plus de zones de repos. Ils disposent aussi d’un personnel qualifié pour aider les personnes âgées dans leurs activités de shopping. Pour terminer sur une note amusante, mais stimulante, citons la création de snack-bars destinés aux clients âgés. Au Japon, les snack-bars font depuis longtemps partie intégrante de la vie nocturne. Ces pubs confortables sont généralement gérés par une mama-san. Ils proposent toutes sortes de boissons alcoolisées à leur petit cercle de clients. Depuis le début des années 1960, ils constituent une oasis pour les personnes fatiguées après une longue journée de travail.
Récemment, un nombre croissant de ces établissements a commencé à répondre aux besoins de leur clientèle âgée, avec notamment des séances de karaoké sans alcool l’après-midi. Il y a aussi le Ryûgûjô, un pub de Yokosuka, dans la préfecture de Kanagawa, qui s’adresse exclusivement aux clients les plus âgés. Le propriétaire, qui dirige plusieurs entreprises dans le secteur des soins infirmiers, souhaitait offrir aux personnes âgées, y compris à celles qui en ont besoin, un moyen de se socialiser en dehors du domicile ou des établissements de soins, en insistant sur l’idée d’un nouveau type d’établissement qu’il a baptisé kaigo sunakku ou “snack-bar de soins infirmiers”.
L’endroit est interdit aux moins de 65 ans et propose même le transport aller-retour jusqu’au domicile. C’est un espace entièrement adapté à ce public, y compris un lit pliant dans les toilettes pour changer les couches pour adultes. Il a également une porte d’entrée sécurisée pour empêcher les clients atteints de démence sénile de se rendre accidentellement à l’extérieur.
L’établissement dispose de personnels spécialisés, y compris des infirmières, des soignants agréés et des physiothérapeutes appartenant aux entreprises de soins du propriétaire. Ryûgûjô accueille des clients dont l’état de santé est fragile, y compris les personnes alitées ou en phase avancée de maladies tel que le cancer. Pour de nombreux clients, une visite au bar représente une occasion de sortir de la routine des soins infirmiers et d’échanger avec des amis et des proches comme ils le faisaient quand ils étaient plus jeunes et en meilleure santé.
Portons donc un toast à ces seniors pleins d’énergie. A la fin de Divorce à l’italienne de Pietro Germi, Marcello Mastroianni déclare que la vie commence à 40 ans, mais pour les Japonais, il semble qu’on commence à s’amuser à 60 ans.
Jean Derome