J’ai passé un été très “jiyû”, autrement dit “libre”. Pour mes trois semaines de vacances, je m’étais décidée non seulement à m’éloigner du travail (ce qui est logique pour les Français mais presque impossible pour ceux qui travaillent avec des organisations japonaises), mais aussi à ne rien organiser. J’ai bien réussi, je suis restée hors du temps. Vive la jiyû !
Pendant ce temps, au Japon, une exposition intitulée Après la non-liberté d’expression s’est déroulée dans le cadre d’un festival artistique. En général, on dit jiyû no fuzai pour évoquer l’absence de liberté, mais les organisateurs de l’exposition ont préféré le terme fujiyû forgé en ajoutant la négation fu devant jiyû. Ils ont eu bien raison. Leur choix a rendu le titre aussi provocateur que son contenu qui rassemblait une vingtaine d’œuvres qui ont été censurées ailleurs, comme l’image de l’empereur Hirohito en feu ou la statue incarnant les femmes de réconfort coréennes enrôlées dans les bordels de l’armée impériale japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. L’événement a mis tout de suite mal à l’aise les internautes qui se sont interrogés sur les limites de la liberté dans les arts. Résultat : l’exposition a été annulée trois jours après son ouverture à la suite de nombreuses protestations et menaces parmi lesquelles un fax sur lequel on pouvait lire “je vais venir avec un bidon de carburant”. Quelques jours après l’incendie criminel du studio de Kyôto Animation qui a fait 35 morts en juillet, cela a jeté le trouble. En tout cas, nous avons eu la confirmation de l’existence de fujiyû dans la société japonaise !
Au travail, je me retrouve souvent entre ceux qui sont nés dans ce pays où la liberté d’expression n’a pas de prix (parfois la liberté tout court), et les autorités nippones qui apprécient énormément les premiers s’ils se soumettent aux règles japonaises (parfois compliquées à décrypter même pour savoir si c’est “oui” ou “non”). Et devant les courriels qui se sont accumulés pendant ma pause estivale, je me dis “vivement les prochaines vacances !”
Koga Ritsuko