Le parc national d’Oze est ouvert d’avril à octobre. La neige et les – 20°C interdisent tout accès aux plaines et aux sommets en hiver. Et ce, même pour les alpinistes les plus aguerris. La fin du mois de mai et début juin sont sans doute les périodes les plus propices à la découverte des lieux puisqu’il s’agit de la saison où l’on peut y observer la floraison des mizubashô (lysichite blanc), dans les marais d’Ozegahara, mais aussi près du lac d’Ozenuma. Les plus téméraires se frotteront au sommet du Mont Hiuchigatake, mais les dernières plaques de neige verglacées demeurent à cette période de l’année et peuvent entraîner de mauvaises chutes. Mon périple durera trois jours. Après avoir rejoint les marais le premier jour et dormi à Akatashiro, je reprendrai la route à l’aube pour rejoindre le lac Ozenuma, découvrir le refuge historique des lieux, Chôzôgoya, avant de redescendre jusqu’à Oshimizu le troisième jour.
La première portion, entre Hatomachitôge et l’entrée de Yamanohana, est bordée de quatre rivières : Hatomachisawa, Yosezawa, Tenmazawa et Kawakami. En mai et juin, on admire avec délice, rhododendrons et azalées. Au bout d’une bonne heure de marche, la zone des marais d’Ozegahara se dévoile : c’est la portion la plus prisée des voyageurs, particulièrement nombreux fin mai, début juin et deuxième quinzaine de juillet. A 1 400 mètres au-dessus du niveau de la mer, les chemins de bois permettent de sentir les parfums de nombreuses fleurs, tout en admirant les montagnes dont on perçoit les sommets à l’horizon. Si l’on tend bien l’oreille, à certains points du parcours, on peut entendre l’ushibuki, le chant du vent qui s’intensifie lorsque le passage est plus étroit. La sensation d’avoir quitté la civilisation pour le bout du monde est déjà là, palpable et grisante.
Au bout du marais, un choix s’impose : le chemin des cascades de Sanjô et de Shibosawa ou celui qui mène au lac d’Ozenuma ? Les deux itinéraires encerclent le mont Hiuchi. La région du lac, destination pour laquelle j’ai opté, est riche en conifères et demeure l’habitat de nombreuses espèces d’oiseaux comme l’iwatsubame. Les plus chanceux apercevront l’okojo, une ravissante hermine locale. Egalement dans cette partie du parc, les espèces de fleurs se multiplient à nouveau et fleurissent, à leur rythme, en harmonie avec les saisons.
Le chemin de montagne qui permet de regagner le lac depuis le marais est sinueux. Les restes de neige empêchent de bien repérer le balisage du chemin. En début de saison, les températures sont clémentes, mais des plaques de verglas persistent et peuvent provoquer des chutes. “Les accidents sont nombreux en ce moment, presque quotidiens”, confirme le gardien d’une des maisons de repos qui borde le lac: “les randonneurs sont plutôt âgés, plus de 70 ans en général et ils ne font pas attention. Ils discutent, ils prennent une photo sans regarder et les voici hélitreuillés.” L’abri sent bon le bois fraîchement coupé, on peut y acheter du café et des sucreries avant de repartir. “Il n’y a plus d’électricité ici depuis un bail, sourit le gardien, très bavard. Avant nous proposions des udon et des soba, mais suite à une panne électrique, tout a brûlé. Alors on a décidé de tout arrêter. Pour les toilettes, on utilise des panneaux solaires.”
Très vite, je comprends que l’écrin de nature luxuriant et intact d’Oze se mérite. Afin de le préserver des foules de randonneurs qui le traversent chaque année, des règles drastiques ont été mises en place pour réduire au maximum les dégâts que peut causer le passage de l’homme. Au début des années 1950, la région a connu un essor de fréquentation et l’arrivée massive des randonneurs a eu un impact très négatif sur la végétation du parc. Des mesures ont alors été rapidement décidées pour protéger l’endroit. A commencer par le retrait des 1 400 poubelles, les randonneurs sont aujourd’hui invités à ramener leurs poubelles avec eux, et ce pendant toute la durée où ils resteront dans le parc. Dans les 23 refuges de montagne mis à disposition des marcheurs, au sein d’Oze, savon, shampoing et dentifrice sont interdits pour limiter le traitement de l’eau. L’électricité est coupée aux alentours de 21 h par souci d’économie. Dans le parc, pas de réseaux de téléphone, encore moins de connexion Internet. On se plie aux lois de la montagne et on s’aperçoit rapidement que très loin d’être une contrainte, il y a une réelle satisfaction à s’adapter aux éléments qui nous entourent. Il faut bien avouer que l’on se sent bien petit et insignifiant face à tant de merveilles et que respecter l’endroit se fait sans réels efforts. Le lever et le coucher du soleil servent de boussole au sommeil. Englouti dans la montagne bienveillante et apaisante, on se découvre un sentiment de liberté extrême.
Pour Hirano Tarô, 50 ans, la préservation d’Oze est l’histoire de sa famille. L’enfant du pays vit à Tokura, en contrebas du parc, côté préfecture de Gunma avec son épouse, originaire de Kumamoto et leurs cinq enfants âgés de 6 à 17 ans. Il gère deux refuges de montagnes et un lodge qui est davantage à destination des amateurs de sports d’hiver. Son arrière-grand-père Chôzô, né en août 1870 dans le village de Hinoemata, dans la préfecture de Fukushima, est à l’origine du tout premier refuge du parc, en 1910. En effet, cet amoureux des montagnes a fait construire Chôzôgoya (environ 9 000 yens (75 euros) dîner et petit-déjeuner compris. http://chozogoya.com), près du lac Ozenuma et dont Hirano Tarô a aujourd’hui la charge. Chôzô est également à l’origine du sanctuaire du mont Hiuchi, qu’il a fait bâtir après être devenu prêtre shintoïste à l’âge de 20 ans.