Il est intéressant de noter que les premières pages du premier volume de Empereur du Japon (Shôwa Tennô Monogatari) que les éditions Delcourt-Tonkam ont la très bonne idée de publier dans sa version française évoquent la rencontre entre le souverain japonais et Douglas MacArthur, commandant suprême des forces alliées au Japon au cours de laquelle le premier affirme au second que “la responsabilité concernant les actes commis par le Japon pendant cette guerre, quels qu’ils aient été… De même que tous les agissements de l’état-major, de l’armée et des responsables politiques au nom de ce pays, m’incombent entièrement et directement”. Ces paroles soulignent à quel point Hirohito était conscient de la situation et des conséquences liées aux décisions prises alors qu’il régnait sur le pays. En mettant l’accent sur cet épisode dès le début du manga, ses auteurs entendent rappeler que l’empereur ne cherchait pas à se cacher derrière d’autres pour reconnaître ses responsabilités, mais qu’il était en partie contraint par un système dont il ne contrôlait pas tout le fonctionnement. Il faudra sans doute encore de nombreuses années avant de connaître avec plus de précision le rôle concret de Hirohito dans le déclenchement d’une guerre qui a abouti à l’atomisation de deux villes : Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945.
En attendant, il est d’ores et déjà possible de se familiariser avec ce personnage important de l’histoire mondiale grâce à ce manga d’excellente facture signé Nôjô Jun’ichi pour le dessin. On comprend qu’il ne s’agit pas d’une œuvre tout à fait comme les autres et qu’elle a fait l’objet d’un soin tout particulier quand on s’aperçoit que le scénario d’Eifuku Issei s’appuie sur l’une des biographies les plus connues de l’empereur Shôwa et qu’il a bénéficié de la supervision de Shiba Hidetaka, l’un des grosses pointures de l’éditeur Shôgakukan et auteur d’un remarquable essai sur le manga paru, en 2016, chez San’ichi Shobô. Il y a une véritable volonté de donner du crédit à ce manga, ce qui prouve une nouvelle fois que ce mode d’expression est considéré au Japon comme un excellent moyen de diffuser la connaissance. Rappelons que de nombreux Japonais étudient l’histoire comme l’illustre notamment l’incroyable succès des 20 volumes de Gakushû manga Nihon no rekishi [Apprendre l’histoire du Japon grâce au manga] publié par Shûeisha et adapté à la télévision par Nippon TV. Ça ne remplace pas bien sûr un essai ou une biographie, mais cela permet d’intéresser un plus large public à l’histoire. Et ce n’est pas plus mal.
Voilà pourquoi on ne peut que se féliciter de la publication en France de Empereur du Japon grâce auquel les lecteurs vont pouvoir se familiariser avec un personnage historique important, mais somme toute plutôt méconnu sous nos latitudes, et aussi avec le Japon contemporain puisque le 124e souverain japonais a régné pendant 64 ans. Si une bonne partie du récit se concentre sur la personnalité de Hirohito, l’accent est également mis sur le contexte historique sans lequel évidemment le destin de cet homme perdrait toute saveur. Dans le premier volume, en librairie le 4 octobre, qui commence, nous l’avons vu, par l’entretien entre l’empereur d’un pays vaincu et un général américain tout puissant, les auteurs nous entraînent sur les premières années de vie du futur souverain. On y découvre les pesanteurs d’un système dans lequel celui-ci va devoir évoluer et trouver sa place. Prince, puis empereur même d’essence divine, n’est pas chose aisée. Le manga le montre très bien. L’entourage est évidemment essentiel et les auteurs mettent en évidence les hommes et la femme qui ont le plus compté au cours des jeunes années du prince qui s’appelait alors Michi. On découvre assez rapidement que certains cherchent à étouffer toute forme de sensibilité chez le futur souverain quand Adachi Taka, qui fut sa nourrice de 1905 à 1915, lui faisait prendre conscience de la nécessité de modération. Il finit toutefois par comprendre très vite le sens de son devoir. Ne dit-il pas un jour : “Michi tâchera d’être fort ! Comme le fut son grand-père !”, l’empereur Meiji qui s’éteignit en 1912. Pour en savoir encore plus sur Hirohito et comprendre pourquoi il reste au cœur de l’actualité, précipitez-vous chez votre libraire !
Odaira Namihei
Le premier volume d’Empereur du Japon s’ouvre sur le Japon dévasté par la Seconde Guerre mondiale.
Références
Empereur du Japon (Shôwa tennô monogatari),
de Nôjô Jun’ichi (dessin), Eifuku Issei (scénario), Handô Kazutoshi (œuvre originale) et Shiba Hidetaka (supervision), trad. par Uno Takanori, éd. Delcourt-Tonkam, 7,99 €