Quand il s’est installé pour la première fois à Séoul, peu après les Jeux olympiques de 1988, la situation était très différente de celle qui prévaut actuellement. “A l’époque, le Japon était clairement considéré comme un leader, un modèle à suivre et reproduire. La Corée tentait alors de rattraper son voisin plus riche et plus accompli”, se souvient-il. “Aujourd’hui, les deux pays sont presque au même niveau et les Coréens ont le sentiment qu’ils peuvent enfin sortir de l’ombre du Japon et être traités sur un pied d’égalité. Pour sa part, le gouvernement japonais les considère toujours comme des frères plus jeunes qui doivent être guidés et, si nécessaire, réprimandés. Cette attitude ne manque pas de les agacer.”
La dernière affaire opposant les deux pays concerne, encore une fois, un problème lié à l’histoire et à la guerre, à savoir le recours au travail forcé dans les usines et les mines japonaises. Les individus qui ont décidé de poursuivre des entreprises japonaises affirment qu’ils ont été forcés à travailler dans des conditions épouvantables sans être rémunérés. “Personne ne nie ces faits”, explique l’universitaire. “Le vrai problème est de savoir comment cette question a été réglée par le passé. En 1965, les deux pays ont signé un traité couvrant les demandes d’indemnisation remontant à la domination coloniale japonaise en Corée. À ce jour, la position du gouvernement japonais est que tous les problèmes ont été réglés à cette occasion et qu’il n’est pas nécessaire de revenir dessus. Le Japon s’est excusé, a payé des réparations et le gouvernement coréen a convenu que l’accord de 1965 réglait une fois pour toutes les problèmes de passé.”
Cependant, les autorités coréennes considèrent les choses sous un autre angle. A leurs yeux, certains problèmes n’ont pas été réglés correctement à cette époque, à savoir la question des femmes de réconfort (femmes enrôlées dans les bordels de campagne de l’armée impériale), celle des victimes coréennes des bombardements atomiques et celle des ressortissants coréens laissés pour compte lorsque l’île de Sakhaline a été envahie par l’armée soviétique à la fin de la guerre, et qui n’ont pas pu retourner dans la péninsule coréenne. Selon Séoul, ces trois questions doivent être réglées séparément.
Jusqu’à présent, le gouvernement coréen avait pris soin de ne pas faire trop de vagues car il ne voulait pas remettre en cause ses relations avec le Japon. Malheureusement, une décision de la Cour suprême, en octobre 2018, a radicalement changé la donne. “Je pense que les responsables politiques coréens ont non seulement été pris au dépourvu, mais n’ont pas vraiment apprécié la décision du tribunal”, estime Okuzono Hideki. La sentence a placé la question des travailleurs coréens pendant la guerre hors du champ d’application du traité de 1965. La cour a estimé que, puisque le Japon, tout au long des négociations, avait refusé de reconnaître l’illégalité de son régime colonial, l’accord ne couvrait pas l’indemnisation des activités illégales menées par le gouvernement et les entreprises japonais. En d’autres termes, comme la plupart des activités nippones au cours de cette période sont considérées comme juridiquement invalides, un grand nombre de Coréens concernés par ces activités ont désormais le droit de demander réparation. Au Japon, bien sûr, les choses sont perçues différemment. Selon le gouvernement japonais, ces derniers développements relèvent davantage des affaires intérieures coréennes et le pays du Soleil-levant n’a pas y être impliqué.