La communauté coréenne au Japon faisait constamment l’objet de discriminations, en plus d’être reléguée à l’exercice de travaux manuels exténuants (terrassement de montagnes, création des égouts, manœuvres dans les ports et dans les chantiers navals) et de tâches pénibles que les Japonais évitaient comme la peste (éboueurs, équarrisseurs, tanneurs ou abatteurs d’animaux) et d’être payée moins que la population locale. En septembre 1923, à la suite du violent tremblement de terre qui secoua Tôkyô et sa région, quelques milliers de Coréens sur les 20 000 qui y vivaient furent assassinés par des groupes d’autodéfense après avoir été faussement accusés d’avoir provoqué des incendies et empoisonné des puits. Malgré ces conditions de vie et ces troubles, de nombreux Coréens ont continué à se rendre dans l’Archipel en quête d’une vie meilleure à laquelle ils ne pouvaient pas prétendre dans leur propre pays. Mais laisser sa famille derrière soi n’était pas chose aisée. Il n’est donc pas étonnant que dans les plus gros succès musicaux parmi les premières générations de Coréens installés au Japon on trouve des chansons intitulées “Vivre au loin”, “Le Ferry s’en va” ou encore “Sérénade mélancolique”.
Dans le même temps, la situation se détériorait dans la péninsule coréenne. Entre 1936 et 1942, sous le gouverneur général Minami Jirô, les Coréens étaient obligés d’adorer l’empereur et d’assister régulièrement à des cérémonies dans des sanctuaires shintoïstes. Plus important encore, il leur était interdit de porter des vêtements coréens traditionnels, ils devaient utiliser uniquement la langue japonaise et adopter le système administratif des noms japonais. Au début de la seconde guerre sino-japonaise en 1937, les autorités japonaises mettent en place une économie au service de l’armée. Le travail forcé – la question au cœur des récentes tensions entre les deux pays – a débuté à l’automne 1939 sous le nom de “recrutement dirigé par l’entreprise” et s’est intensifié au cours des années suivantes. Au total environ 720 000 personnes ont été mobilisées de force en Corée à destination du Japon, du sud de l’île de Sakhaline et dans le Pacifique Sud, faisant grossir la communauté coréenne au Japon à plus de deux millions de personnes. Environ la moitié d’entre eux travaillaient dans des mines de charbon et le reste, dans des mines de fer, des chantiers de construction, des usines, des ports et des fermes. Les personnes qui protestaient étaient envoyées dans des camps de prisonniers. Afin de les empêcher de quitter leur travail, les sociétés versaient la majeure partie de leurs salaires sur des comptes bancaires auxquels les travailleurs n’avaient pas accès. Les questions relatives aux salaires impayés, à l’abandon de certains d’entre eux et à la séparation des familles notamment sur l’île de Sakhaline (envahie par l’armée soviétique à la fin de la Seconde Guerre mondiale) continuent à empoisonner périodiquement les relations déjà tendues entre les deux gouvernements.
L’une des principales raisons pour lesquelles ces problèmes n’ont pas été résolus une fois pour toutes est la façon différente dont les deux pays envisagent le passé. La Corée du Sud, en particulier, a toujours déclaré que le Traité d’annexion nippo-coréen de 1910, qui marquait le début de la domination coloniale du Japon sur la Corée, est illégal (ce que le gouvernement japonais n’a jamais reconnu). C’est à la fois un principe de base de l’idéologie nationale et le fondement de la décision rendue par la Cour suprême de Corée du Sud en octobre 2018 sur le travail forcé. En effet, depuis le début de la domination coloniale japonaise, de nombreux Coréens ont protesté contre le statu quo politique confirmé par la Déclaration d’indépendance de la Corée (8 février 1919) publiée par 600 étudiants coréens au Japon et par le Mouvement du 1er mars de la même année, premier soulèvement contre le Japon qui a été violemment réprimé par l’armée japonaise.
Après la reddition du Japon en 1945, la plupart des Coréens sont repartis chez eux, mais environ 600 000 sont restés au Japon, luttant à nouveau contre la discrimination pour trouver des moyens de survivre et de prospérer. Le jeu de pachinko (une sorte de flipper vertical) s’est imposé comme le secteur dominé par les Coréens. Ce loisir a été lancé au Japon dans les années 1920 et est réapparu peu de temps après la fin de la guerre. Les Coréens ont commencé à prendre pied dans l’industrie du pachinko vers 1947, établissant un monopole virtuel sur le jeu populaire à partir de 1954, lorsque les autorités ont interdit les machines à pachinko automatiques, ce qui a entraîné une diminution du nombre de salles de 50 000 à 9 000. Aujourd’hui, elles ne sont peut-être pas aussi populaires que par le passé, mais elles sont encore omniprésentes, en particulier à proximité des gares. Elles incarnent encore les efforts incessants des Coréens du Japon pour surmonter leurs difficultés sociales et économiques.
À l’heure actuelle, environ 7 millions de Coréens vivent à l’étranger, mais la communauté coréenne au Japon occupe toujours une place particulière en raison des circonstances historiques qui ont façonné la vie des Coréens et des deux pays au cours du siècle dernier.
J. D.
Cet article a été réalisé après une visite au musée d’histoire des Coréens du Japon situé à Tôkyô. Il a été fondé en 2005 dans le but de rassembler, organiser et donner accès aux documents relatifs à l’histoire de cette communauté.
www.j-koreans.org (en japonais et en coréen)