Pendant de nombreuses années, les producteurs ont suivi des pratiques obsolètes vieilles de plusieurs décennies, se contentant d’approvisionner leur petit marché local. Cependant, ces personnes approchent maintenant de l’âge de la retraite (l’âge moyen des agriculteurs de la préfecture de Yamanashi, premier producteur de raisins au Japon, était de 68,2 ans en 2015) et sont progressivement remplacées par une génération plus jeune qui ne craint pas d’essayer de nouvelles méthodes. Certains agriculteurs, par exemple, plantent maintenant des vignes à plus haute altitude et en rangées bien ordonnées, dans le style européen, au lieu de la pergola traditionnelle. Ceci est censé aider à augmenter la maturité pendant l’été tristement humide du Japon. Même Aruga Hiro, viticulteur de troisième génération de la famille Aruga, médaillée d’or, a étudié et travaillé en Bourgogne avant de rejoindre son père. Il fait partie de la jeune génération de producteurs qui sont allés faire leurs classes en Europe et qui appliquent maintenant leurs connaissances aux climat et environnement japonais très différents de ce qu’ils ont rencontré lors de leur séjour à l’étranger.
Une contribution importante à la crédibilité internationale du vin japonais a été apportée en octobre dernier lorsque le gouvernement a adopté une nouvelle loi qui établit une distinction importante entre le kokusan wain (vin national) et le nihon wain (vin du Japon). Les vins issus d’un mélange de raisins locaux et importés appartiennent à la première catégorie (voir pp. 6-9). Bon marché, ils sont fabriqués par de grandes entreprises telles que Suntory et le Château Mercian du groupe Kirin, que l’on trouve dans tous les supermarchés japonais. Les seconds, au contraire, sont élaborés avec des raisins 100 % japonais. En outre, pour obtenir une étiquette AOC (Appellation d’Origine Contrôlée), ils doivent être composés d’au moins 85 % de raisins de ladite région. Certes, à proprement parler, il n’y a pas de vigne proprement japonaise. Par exemple, une analyse réalisée à l’Université de Californie à Davis a montré que le Kôshû est un hybride composé principalement de vitis vinifera (espèce de raisin européen comme le chardonnay) et asiatique. Cependant, il a évolué localement au fur et à mesure des siècles écoulés et est donc considéré comme un cépage autochtone.
Un nombre croissant de petits établissements vinicoles ont relevé le défi de produire des vins de grande qualité, 100 % japonais. Le marché national était autrefois dominé par Suntory et d’autres grandes entreprises, mais en 2004, de nouvelles réglementations ont facilité la création d’établissements vinicoles de luxe. Cette nouvelle concurrence semble avoir eu une influence positive sur les entreprises grand public qui cherchent actuellement des moyens de fabriquer des produits de meilleure qualité. Les quatre principaux producteurs de boissons prévoient également de doubler la superficie de leurs vignobles d’ici 2027 pour atteindre un peu moins de 20 % de l’ensemble des cultures de raisins au Japon.
En février, le gouvernement japonais a apporté une contribution importante aux viticulteurs – et au marché du vin en général – avec la conclusion du traité de libre-échange avec l’Union européenne (UE) visant à éliminer mutuellement les obstacles tarifaires et non tarifaires sur les importations de vin et de produits alimentaires. Jusqu’à présent, avec des taxes douanières allant jusqu’à 94 yens par bouteille de vin, le marché européen était pratiquement fermé aux vins japonais. Les exportations de vin de Yamanashi ont été multipliées par 20 au cours des cinq dernières années, mais leurs principaux marchés extérieurs ont été l’Asie et l’Amérique du Nord. Ainsi les exportations de vin vers l’UE, en 2016, n’ont représenté que 10 kilolitres pour un total de 15 millions de yens. Le nouvel accord devrait faciliter considérablement les choses à cet égard. Bien sûr, le traité est valable dans les deux sens, ce qui signifie que les importations de vin européen augmenteront également, mais ce nouveau défi devrait fournir aux producteurs japonais un nouvel élan pour réduire l’écart existant avec l’Europe.
Le Japon demeure un nouveau venu sur la scène vinicole internationale et il lui reste encore beaucoup de travail à accomplir pour atteindre les niveaux d’autres producteurs. Selon une enquête de 2016 de l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), par exemple, les exportations de vin japonais ne représentaient qu’une infime quantité de 56 kilolitres. En comparaison, les poids lourds mondiaux tels que l’Espagne, l’Italie et la France ont exporté respectivement 2,28 millions, 2,10 millions et 1,50 million de kilolitres. Cependant, alors que seulement 0,35 % du vin local est exporté, le pourcentage de vin japonais vendu sur les marchés étrangers a régulièrement augmenté. Par exemple, entre 2015 et 2016, les exportations ont enregistré une augmentation de 30 %.
En attendant, les consommateurs japonais prêtent enfin attention à ces “vins du Japon”. Jusqu’en 2003, c’était encore considéré comme une nouveauté et même à Tôkyô, il n’était pas facile d’en trouver. De nos jours, cependant, la plupart des magasins proposent au moins quelques références, tandis que plusieurs bars et restaurants consacrent tout leur espace de vente à la production locale. Selon un rapport publié en 2016 par Wine Intelligence, le nombre de consommateurs ayant déclaré avoir essayé des “vins du Japon” est passé de 21 % à 27 % en 2014, tandis que plus de la moitié des personnes interrogées ont déclaré en avoir acheté au cours des six derniers mois.
Ces vins représentent environ 5% du total écoulé dans le pays. Le “vin du Japon” dans sa définition officielle représente moins de 20 % du vin total fabriqué au Japon. Ces chiffres restent plutôt insignifiants par rapport à la consommation globale de vin au Japon, mais ces quantités devraient augmenter dans les prochaines années, car la qualité des vins produits par des viticulteurs japonais est amenée à s’améliorer.
Le récent engouement à l’égard du vin s’est accompagné d’une tendance à la hausse des quantités de raisins de cuve produites dans le pays. Il n’y a pas si longtemps, les agriculteurs japonais ne produisaient que des raisins de table dont les restes et la production excédentaire étaient utilisés pour la fabrication du vin. Cependant, une étude menée par le ministère de l’Agriculture, des Forêts et des Pêches révèle que 17 280 tonnes de raisin de cuve ont été produites en 2015, ce qui constitue le plus haut niveau depuis 2003, année où l’on a commencé à tenir ces statistiques.
Au bout du compte, le bon vin japonais semble avoir un avenir prometteur, en particulier après que le Kôshû et le Muscat Bailey A aient reçu la reconnaissance convoitée de l’OIV. Leur succès international va sûrement encourager d’autres viticulteurs à améliorer leurs méthodes de production et d’étiquetage.
Jean Derome