Vous pouvez donc imaginer ma surprise lorsque j’ai déménagé au Japon et vu à quel point le sport était important dans la vie quotidienne de nombreux enfants, et même dans le programme scolaire. Cela commence par des activités simples à la maternelle puis, au primaire et au secondaire, vient le très important undôkai (journée sportive) annuel. Un autre rite de passage traditionnel pour de nombreux élèves consiste à rejoindre le bukatsu. Abbréviation de kurabu katsudô, ce terme couvre toutes sortes d’activités de club ou parascolaires, des langues étrangères aux sciences et aux arts. Pour certains élèves japonais, le bukatsu est synonyme de sport. En effet, selon les données du ministère de l’Education, des Sciences, des Sports et de la Culture, 85 % des élèves du premier cycle au Japon font partie d’un club de sport, alors qu’au lycée, le nombre descend légèrement à 70-75 %. Très simplement, l’éducation japonaise, basée sur une forte identité et fidélité au groupe, encourage les étudiants à rejoindre une équipe sportive ou un club.
Il n’est donc pas étonnant que de nombreux mangas et anime de sport se déroulent au collège ou au lycée. Kuroko’s Basket et Slam Dunk (basket-ball) ; Olive et Tom, Deizu [Days] et Inazuma Eleven (Inazuma Irebun, éd. Kurokawa) (football) ; Prince du tennis (Tenisu no Ôjisama, éd. Kana) et Jeu, set et match ! (tennis) ne sont que quelques exemples parmi les plus célèbres.
La relation entre le manga sportif et l’école est encore plus importante si l’on considère que de nombreux élèves décident effectivement de pratiquer ou de suivre un sport après avoir lu un manga particulièrement intéressant. Selon une enquête réalisée en avril 2016 par l’assureur Meiji Yasuda Life Insurance auprès de 1 600 lecteurs âgés de 10 à 70 ans, 25 % des Japonais qui pratiquent un sport ont été influencés par le manga. Les adolescents et les jeunes de 20 à 30 ans sont les plus concernés. Plus précisément, 7,7 % d’entre eux ont commencé à pratiquer un sport tandis que 17,6 % sont devenus fans d’un sport grâce au manga. L’enquête met en évidence l’influence du manga sur la pratique du sport : les mangas de football semblent avoir le plus grand impact sur les jeunes lecteurs, 22,6 % d’entre eux déclarant s’être adonnés à ce sport après avoir lu une bande dessinée. Pour le basket, le chiffre s’élève à 11,2 % et pour le tennis à 10,7 % tandis que pour le base-ball, il descend à seulement 4,8 %. Fait intéressant, alors que le base-ball est de loin le sport le plus populaire du pays, les nombreux mangas qui lui sont consacrés ne semblent pas jouer un rôle majeur dans le recrutement de joueurs ou de fans.
La prestigieuse université Waseda, à Tôkyô, a consacré beaucoup de recherches sur l’influence de célèbres mangas sportifs sur la pratique sportive. Dans leur étude intitulée “De la corrélation entre l’augmentation de la population sportive et les mangas sportifs populaires”, par exemple, les professeurs Harada Munehiko et Sogawa Tsuneo ont étudié la littérature sur le sujet et interviewé quatre personnes responsables de chacune des principales associations sportives du Japon. Ils ont examiné l’influence des mangas sur chacune des disciplines en étudiant à la fois des données fiables et des opinions populaires sur les mangas sportifs. “Nous avons trouvé une corrélation claire entre le lectorat des mangas et les évolutions dans la population sportive de chaque discipline sportive”, confirment les deux chercheurs. “L’influence de Hikaru no Go (éd. Tonkam) est particulièrement claire. Publié en 1999, ce manga a immédiatement rencontré le succès. Un an plus tard, il était déjà clair que la population de joueurs de go avait augmenté rapidement. Cependant, après la fin de la série [en 2003], le nombre de joueurs a diminué en conséquence. Ces données montrent à quel point le manga est influent [sur la pratique du sport].”
Hikaru no Go s’est écoulé à plus de 25 millions d’exemplaires, augmentant considérablement la popularité de ce jeu au Japon et à l’étranger, en particulier chez les jeunes enfants. D’un autre côté, Harada Munehiko et Sogawa Tsuneo mettent en avant que d’autres facteurs – en dehors des mangas – contribuent aussi à l’augmentation de la population sportive. Dans le cas de Hikaru no Go, par exemple, l’engouement pour le go chez les garçons a également été facilité par deux séries d’animation où la professionnelle de go Umezawa Yukari (“la plus belle joueuse de go du Japon”) disposait d’une minute à la fin de chaque épisode pour expliquer aux enfants comment jouer au go.