En effet, à cette époque, une interdépendance s’était nouée entre les paysans et le personnel politique. Les premiers faisant pression, du printemps à l’été, sur les seconds pour obtenir une augmentation du prix du riz que le gouvernement achetait dans le courant de l’année. A Niigata où l’agriculture a toujours occupé une place centrale, les organisations rurales bénéficiaient d’une grande force car elles étaient en mesure de mobiliser des fonds importants pour soutenir les politiciens les plus ouverts à leurs revendications et surtout d’inciter les électeurs locaux à apporter leurs voix aux candidats qui faisaient preuve de compréhension à leur égard. C’est ce qui explique pourquoi Tanaka Kakuei a bénéficié pendant de nombreuses années d’une solide base électorale dans la préfecture. Il faut dire que le système accordait un poids particulier aux ruraux, ce qui explique pourquoi leurs demandes de subventions (conditions climatiques défavorables, infertilités des sols, etc.) étaient souvent satisfaites. Le donnant-donnant était une pratique qui servait les intérêts des deux parties. Tanaka Kakuei comme sa formation, le PLD, en ont profité pour conserver le pouvoir pendant des années.
Ce qui a permis à l’ancien chef du gouvernement de conserver une telle aura, c’est aussi son engagement à favoriser le désenclavement des régions japonaises. A la veille du premier choc pétrolier (1973), il publie Le Pari japonais : construire un nouveau Japon (Nippon rettô kaizô-ron, éd. Presses de la Cité), ouvrage dans lequel il propose de revoir l’aménagement du pays à un moment où celui-ci connaît de nombreuses difficultés (pollution, concentration urbaine, etc.). Son objectif est d’enrayer notamment l’exode rural qui a pour conséquence d’affaiblir les régions en dehors des grands centres urbains. Pour y parvenir, il parie sur le développement d’infrastructures modernes de transport qui permettront un “redéploiement” industriel. “Il est possible de transformer le Japon en un pays plus riche, moins pollué et plus agréable à vivre qu’il ne l’est actuellement. Pour cela, il est nécessaire de détourner le cours de notre histoire moderne qui a concentré l’industrie, la population et la culture dans les principales zones urbaines, en déplaçant les pôles de développement vers des contrées plus écartées”, écrit-il.
En d’autres termes, il voudrait désengorger “le Japon de l’endroit” (Omote Nihon), c’est-à-dire la côte Pacifique, en faveur du “Japon de l’envers” (Ura Nihon), la côte de la mer du Japon. A ses yeux, Niigata, sa terre natale, constituait le lieu idéal pour matérialiser ses idées. Il va donc y encourager les investissements d’infrastructures. Il parlait volontiers de “l’aube d’un nouvel âge, celui des trains-fusées”, lesquels “pourraient filer à 500 kilomètres à l’heure, soit presque deux fois plus vite que ceux d’aujourd’hui”. Si son projet n’était pas complètement dépourvu de fondements, il possède toutefois de nombreuses limites. D’une part, Niigata est déjà faiblement peuplée et les coûts pour construire, ne serait-ce que la ligne à grande vitesse de 270 kilomètres, exploseraient en raison du relief qui rendrait les travaux extrêmement compliqués. Mais la population locale ne lui en veut pas, comme elle ne tient pas non plus compte de sa mise en cause dans le scandale Lockheed qui l’oblige à démissionner de son poste de Premier ministre et lui vaudra, dix ans plus tard, d’être condamné à 4 ans de prison.