Le très petit et le colossal se succèdent dans une alternance de surfaces vitrées, d’aluminium et de béton. La nuit, l’éclairage transforme donc la capitale en une apparition fantastique de chaînes de montagnes artificielles et électriques et de profonds canyons. Cela prend du temps, mais on finit par se rendre compte que la capitale, loin d’être chaotique, est divisée en différents écosystèmes. En d’autres termes, Tôkyô n’est pas une ville de l’espace, comme la plupart des entités urbaines occidentales, mais une ville de situations ; une agglomération de villages ou de quartiers spécifiques, chacun ayant son propre caractère, chacun étant consacré à un métier particulier (instruments de musique à Ochanomizu, ustensiles de cuisine à Kappabashi, textiles à Nippori, livres rares et d’occasions à Jinbôchô). Les gens se tournent vers un quartier en fonction de leurs intérêts ou de leurs désirs d’achat.
Il semble que tout au long du XXe siècle, à environ 20 ans d’intervalle, des événements d’une ampleur exceptionnelle ont fortement influencé sa physionomie. En 1923, par exemple, la vieille ville traditionnelle datant de l’ère Edo (1603-1868) a été presque entièrement détruite par un grand séisme qui a tué 105 000 personnes, détruit plus de 570 000 maisons et laissé près de deux millions de personnes sans abri.
Les travaux de reconstruction qui ont suivi au cours des deux décennies suivantes ont offert une occasion unique de redessiner la ville selon une approche moderne et plus rationnelle, mais en fin de compte, rien n’en est sorti. Cependant, le gouvernement a financé un plan ambitieux de constructions résidentielles qui a abouti à la création de Dôjunkai, dont la mission a consisté à créer des logements collectifs modernes de trois étages construits en béton armé autour d’une cour. Puis, dans les années 1930, un mouvement moderniste a été à l’origine d’une série d’œuvres architecturales étonnantes marquées par un fonctionnalisme sobre, comme le siège central de la poste conçu par Yoshida Tetsurô et toujours visible à la sortie Marunouchi-Sud, à la gare de Tôkyô.
Vingt ans après le tremblement de terre, une autre catastrophe a frappé la capitale japonaise avec les bombardements américains : la moitié des maisons ont été détruites et 250 000 personnes ont trouvé la mort. Une fois de plus, Tôkyô s’est redressée, même si cette fois-ci, le gouvernement a privilégié la quantité à la qualité pour répondre à la demande de logements résidentiels. Cette période de reconstruction effrénée a culminé avec l’achèvement, en 1958, de la Tour de Tôkyô (voir Zoom Japon n°3, septembre 2010), haute de 333 mètres, véritable géant architectural dans une ville où, à l’époque, les bâtiments les plus hauts ne dépassaient pas huit ou dix étages.