Marc Petitjean dresse un portrait touchant de Moriguchi Kunihiko,
grand maître de la peinture sur kimono.
Passé presque inaperçu lors de sa sortie à la fin de l’hiver dernier en raison du début du confinement qu’il l’a privé d’une belle exposition sur les tables de librairies, L’Ami japonais de Marc Petitjean ne devait pas être une victime collatérale de la crise sanitaire. D’autant moins que cet ouvrage nous apporte beaucoup de réconfort en nous donnant accès à la beauté et en nous ouvrant des perspectives dont nous manquons tant actuellement. Ce livre est d’abord l’histoire d’une rencontre entre un documentariste français et Moriguchi Kunihiko, Trésor national vivant et maître de la peinture sur kimono. Dans un style alerte, il raconte comment ce personnage lui a ouvert la porte sur “une société que je connaissais peu, puisque je l’avais découverte à travers le prisme très particulier des bombes atomiques.” En effet, l’auteur a notamment réalisé le remarquable documentaire De Hiroshima à Fukushima (2015) à propos du docteur Hida, médecin survivant de Hiroshima.
Face à un homme qui n’a cessé de lui répéter “on est très différents, mais on peut quand même se parler et essayer de se rapprocher”, Marc Petitjean n’a eu aucun mal à ressentir “ce sentiment mystérieux qui naît de toutes les vraies rencontres”.
Il faut dire que Moriguchi Kunihiko ne manque pas de charme et que son talent artistique est tel que l’on finit par adopter une attitude quasi religieuse à son égard. “La caméra sur l’épaule, je m’arrêtais de respirer pour ne pas bouger pendant les prises de vue. J’ai fait tous ces tournages en apnée. Kuni, lui, traçait les lignes parallèles pratiquement à main levée, avec des gestes précis et en soufflant légèrement au terme d’une action. Je m’attendais à ce qu’il fasse une erreur mais il n’en fit pas. J’étais captivé et cela durait, si bien que j’avais le sentiment de capturer l’essence d’un tel tracé”, confie-t-il. Au fil des pages, on saisit la montée en puissance d’une complicité entre les deux hommes. Bien qu’on ne puisse pas toujours expliquer de façon rationnelle l’amitié qui se noue entre deux individus, celle qui se construit sous nos yeux trouve néanmoins de nombreux ressorts dans l’histoire personnelle du grand artiste japonais. Sa rencontre par exemple avec Jean-Pierre Hauchecorne, fils du consul général de France à Ôsaka et grand amateur d’art populaire (mingei, voir Zoom Japon n°25, novembre 2012), a façonné sa francophilie et lui a offert la possibilité de s’ouvrir. Sans cela, sans doute n’aurait-il pas eu la même envie d’initier Marc Petitjean. Il existe une forme de réciprocité très ancrée dans l’âme japonaise dont l’auteur témoigne. “Peut-être pensait-il que, si je ne parvenais pas à apprécier ce que je voyais ce jour-là, la cause serait perdue, et je serais incapable d’aller plus loin dans ma découverte de sa culture.”
La lecture de ce livre montre qu’il s’en est montré capable au point de nous livrer un beau portrait de ce Trésor national vivant pour qui la tradition “c’est comme la pureté de l’eau de source. Il faut toujours qu’il y ait une eau qui descende dans l’eau pure. Quand c’est sale, ça déborde. Et la pureté est toujours gardée. Et moi, je suis l’une des gouttes, dans l’Histoire. Je conçois comme ça la tradition.” Des mots qui s’accordent parfaitement au parcours de cet artiste et à la belle amitié qui s’est construite entre lui et l’auteur de cet ouvrage publié chez Arléa. L’occasion de saluer le travail de cette maison d’édition qui, depuis plusieurs années, assure un remarquable travail d’ouverture à la culture japonaise avec des ouvrages de grande qualité comme l’illustre celui signé par Marc Petitjean.
Gabriel Bernard
Références
L’AMI JAPONAIS, de Marc Petitjean, Arléa, coll. La rencontre, 2020, 17 €.