Située à cheval entre les préfectures de Fukushima et de Niigata, elle offre des paysages à couper le souffle.
Il est à peine six heures du matin. Pourtant, déjà une trentaine de photographes prennent position le long du grand point de vue. Officiellement connu sous le nom de “point de vue n°1 du pont de la rivière Tadami”, il est situé en hauteur au-dessus de cette dernière à Oku Aizu dans la préfecture de Fukushima. Le soleil ne s’est pas levé depuis assez longtemps pour brûler les brumes matinales qui enveloppent les montagnes boisées entourant la rivière. Les brumes fluviales qui dérivent font partie de la vie le long de la rivière Tadami. Selon la tradition locale, elles sont l’œuvre de dieux de la montagne qui changent de forme et qui errent dans la brume.
Tous les yeux et toutes les caméras sont braqués sur le pont n°1 de la rivière Tadami, élégamment voûté, qui se trouve en contrebas. Puis, avec une exquise ponctualité, apparaît le spectacle que nous attendions tous. Du côté droit du pont, un train vert et blanc, long de deux wagons seulement, émerge de la forêt. Immédiatement, le calme matinal s’installe avec le bavardage rapide de dizaines d’appareils photo réglés sur le mode de prise de vue continue.
La ligne de chemin de fer Tadami traverse sur 135 kilomètres la région du Tôhoku, la partie la plus septentrionale de la principale île de Honshû. La ligne relie la ville historique d’Aizu Wakamatsu, célèbre pour son château, dans la préfecture de Fukushima, à Koide, dans celle de Niigata. Elle traverse des paysages sublimes et des villages isolés. Sujette à certaines des plus fortes chutes de neige du Japon, la région est dominée par les montagnes, les forêts et les lacs. C’est la terre que le poète de haïku Matsuo Bashô a décrite dans son livre L’Étroit chemin du fond (Oku no Hosomichi, trad. et commentaire Alain Walter, éd. William Blake, 1689).
Le Tôhoku est la destination idéale pour tous ceux en quête de nature qui souhaitent échapper aux foules que l’on associe habituellement au Japon. Un maigre 2 % des visiteurs étrangers se sont aventurés jusqu’ici en 2019. La plupart des étrangers ne connaissent que Fukushima comme le site du tremblement de terre et du tsunami qui ont dévasté certaines parties de la région le 11 mars 2011.
Si Oku Aizu a été épargnée par les effets du “séisme”, la même année, il a subi une catastrophe naturelle qui lui est propre. De violentes tempêtes, entraînant des inondations ont détruit trois des ponts le long de la ligne Tadami. Le coût astronomique de leur réparation, associé à la diminution de la population de la région, a amené les autorités à conclure que la restauration des ponts n’était pas viable. De nombreux habitants de la région n’étaient pas non plus disposés à voir leurs impôts dépensés pour la réparation de ces ouvrages d’art.
A ce jour, six gares restent fermées suite aux dégâts causés par les inondations, obligeant les passagers à descendre du train et à faire un trajet d’une heure en bus sur le tronçon entre les villes d’Aizu Kawaguchi et de Tadami. Si les touristes étaient rares avant les inondations, ils risquent maintenant de disparaître complètement, laissant Oku Aizu se languir dans les brumes de la rivière Tadami, également oubliée.
C’est alors qu’une chose remarquable s’est produite. Hoshi Ken (qui présente ses travaux sous le nom Ken Hoshi), résident de la région depuis le début des années 1970, était depuis longtemps convaincu qu’Oku Aizu avait un énorme potentiel touristique. Il la photographie 300 jours par an depuis 25 ans, capturant entre autres la vue magique du petit train Tadami qui sillonne les vallées brumeuses, les forêts enchantées et les montagnes imposantes, sur un fond de neige hivernale profonde, les fleurs de cerisiers au printemps, les brumes estivales et les feuillages automnaux. Dans une démonstration inspirante d’initiative populaire, il a commencé à publier ses clichés sur Facebook.
Il s’est même rendu à Taïwan pour exposer ses photos et promouvoir sa région. La réaction a été stupéfiante. “Avant, il n’y avait pratiquement personne, à part les habitants, qui se promenait dans les rues d’Oku Aizu”, explique-t-il. “Mais récemment, nous avons commencé à voir non seulement des visiteurs japonais, mais aussi des étrangers”. Notamment originaires de Taïwan. Ce sont les Taïwanais qui ont désigné la ligne de chemin de fer comme “la plus romantique du monde”. “Je leur suis à jamais reconnaissant. Beaucoup d’entre eux nous ont rendu visite plus de 10 fois”, assure-t-il.
Grâce à cet engouement populaire, les autorités locales en sont finalement venues à partager la vision de Hoshi Ken concernant la revitalisation de la région par le tourisme. Mieux encore, JR East, la compagnie en charge de la ligne Tadami a décidé de la remettre en état. Elle sera pleinement opérationnelle d’ici la fin de l’année 2022. Il est même prévu d’installer plusieurs nouveaux points de vue le long de la ligne afin de rendre le paysage spectaculaire plus accessible, notamment aux ponts endommagés numéros 5, 6 et 7, une fois qu’ils auront été restaurés. Les initiatives de M. Hoshi seront également présentées dans un documentaire consacré à la ligne Tadami et réalisé par Abiko Wataru, dont la sortie au Japon est prévue pour ce printemps. Il sera également présenté dans plusieurs festivals de cinéma taïwanais.
Hoshi Ken ne se considère pas pour autant comme un passionné de chemin de fer. “Je photographie la ligne Tadami non pas parce que j’aime les trains, mais parce que je veux promouvoir les magnifiques paysages d’Oku Aizu. La région d’Oku Aizu a été durement touchée par les réformes économiques du début des années 2000. Le nombre d’emplois y a chuté à près d’un dixième du niveau précédent. Pour redynamiser cette région, nous devions trouver un moyen d’attirer les gens d’une manière ou d’une autre. J’étais persuadé que ces beaux paysages étaient assez puissants pour séduire beaucoup de visiteurs”, affirme-t-il. Ce n’est pas la première fois qu’il agit seul pour promouvoir le tourisme à Oku Aizu. Après avoir fait pression avec succès sur les autorités locales pour qu’elles construisent des escaliers facilitant l’accès au point de vue du pont n°1 de la rivière Tadami, à l’extérieur de la ville de Mishima, il les presse actuellement d’installer également un ascenseur, afin que les personnes de tous âges puissent profiter de la vue à couper le souffle, même lorsqu’elle est couverte de neige.
Il a également organisé la relance des bateaux à fond plat le long de la rivière Tadami qui en assuraient la traversée. Pour les habitants de la communauté de Mifuke où Hoshi Ken a grandi, ces embarcations faisaient partie de la vie quotidienne – pour se rendre à l’école, au travail ou simplement pour faire des courses. Mais en 1964, un glissement de terrain a détruit le village. Désormais, les bateaux transportent les touristes qui viennent découvrir les vestiges du village fantôme. “Je voulais proposer aux visiteurs différentes façons de profiter d’Oku Aizu, autres que la simple observation du paysage ou la prise de photos. Je souhaitais leur offrir une expérience, une activité qui n’est disponible qu’ici. J’ai donc pensé à ces embarcations que j’utilisais quand j’étais enfant. Il emmène les visiteurs le long de la rivière magique et brumeuse. C’est une expérience unique”, explique-t-il. Il a baptisé ce service Mugenkyô no Watashi [Traversée des gorges brumeuses et magiques].
Oku Aizu possède également de nombreuses autres attractions uniques, allant de la ville de Mishima, membre du réseau Les Plus Beaux Villages de la Terre, à la ville historique d’Aizu-Wakamatsu, connue sous le nom de Samurai City, une ville-château qui abritait autrefois 15 000 samouraïs. Les amateurs de baignade en forêt peuvent se promener dans les splendides forêts de hêtres autour de Tadami, qui a été ajoutée à la liste des biosphères protégées de l’Unesco en 2014. Ailleurs, le Numazawa-ko, un immense lac de caldeira formé par de multiples éruptions volcaniques, est un endroit magnifiquement serein pour faire du kayak ou du camping. “Ici aussi, nous avons de superbes onsen (sources d’eau chaude) au bord de la rivière et de nombreux plats délicieux à base d’ingrédients locaux”, ajoute M. Hoshi.
Cette année, les Jeux olympiques de Tôkyô coïncident avec le 10e anniversaire de la tragédie du tremblement de terre et du tsunami qui ont endeuillé le Tôhoku. Le gouvernement a défini les jeux comme les “Jeux olympiques du rétablissement”, en référence à la régénération de la région. Le relais de la flamme olympique commencera à Fukushima et passera par certaines des zones les plus touchées. Le pont n°1 de la rivière Tadami sera l’un des points forts du parcours. Hoshi Ken sera l’un des photographes officiels pour cette partie du relais.
De plus, pour la première fois dans l’histoire de la région, le gouvernement va promouvoir le Tôhoku comme destination pour le tourisme international. Ses grands espaces, sa population clairsemée et sa nature vierge en font une destination idéale en ces temps de distanciation sociale. Vous entendrez donc beaucoup parler de Fukushima et du Tôhoku en 2021. Et si, comme le disait récemment un article du New York Times, le tourisme post-Covid sera “plus vert, plus intelligent et moins fréquenté”, alors 2021 pourrait être l’année au cours de laquelle le rêve de M. Hoshi de sauver Oku Aizu grâce au tourisme pourra enfin se réaliser.
Steve John Powell
& Angeles Marin Cabello
POUR S’Y RENDRE
DEPUIS LA GARE DE Tôkyô, empruntez
la ligne à grande vitesse Tôhoku Shinkansen jusqu’à la gare de Kôriyama (environ 1h30). Changez alors pour la ligne de train locale,
JR Ban’etsu West Line qui vous emmènera jusqu’à Aizu-Wakamatsu (environ 1h10),
point de départ de la ligne Tadami.