La publication d’entretiens de l’ancien patron de Nintendo permet de nourrir une réflexion sur notre monde.
Parmi les entreprises japonaises qui ont dominé l’univers de l’électronique dans les années 1980 et 1990 avant le grand tournant numérique, la seule à avoir conservé la plupart de ses plumes et réussi à négocier le virage de ce changement d’époque s’appelle Nintendo. Et si, à la différence de Sony qui a en grande partie perdu son âme, la société de Kyôto a réussi à garder ses caractéristiques, elle le doit à son mythique patron Iwata Satoru qui l’a dirigée entre 2002 et 2015, date de sa disparition prématurée. Ce miracle a été rendu possible parce que cet homme était non seulement un visionnaire, mais aussi et peut-être surtout un hacker. Il ne s’agit pas du sens galvaudé qu’on a donné à ce terme, mais de son acception originale, c’est-à-dire ces individus qui ont bâti une philosophie à partir d’une passion souvent liée à l’univers de l’informatique. Dans le cas d’Iwata Satoru, on parle évidemment de jeu. “Sur ma carte de visite, je suis un président d’entreprise. Dans ma tête, je suis développeur de jeux vidéo. Mais dans mon cœur, je suis un joueur”, disait-il, résumant ainsi très bien ce qu’il était au fond de lui-même et ce qui lui a permis d’empêcher Nintendo d’être victime de changements qui en ont emporté d’autres.
La lecture d’Ainsi parlait Iwata-san : conversations avec Satoru Iwata, le légendaire président de Nintendo permet en effet de saisir une philosophie et de comprendre les motivations d’un homme qui n’a jamais voulu s’arrêter de jouer. On ne s’étonne donc pas quand il affirme : “Internet a également décuplé les raisons qui nous font agir. Tandis qu’autrefois nous pouvions mener une petite vie sans savoir que nous aurions pu venir en aide à quelqu’un, ce n’est plus le cas aujourd’hui où nous savons pertinemment qu’il y a toujours moyen d’être utile à une personne quelque part dans le monde”. Une réflexion de hacker que le philosophe finlandais Pekka Himanen a élevée au rang d’éthique dans un ouvrage fondateur publié en 2001 (la version française est publiée chez Exils). Grâce à Ainsi parlait Iwata-san, on découvre une approche humaniste de la direction d’une entreprise de dimension mondiale, ce qui permet de penser que l’on peut encore rêver d’un avenir du capitalisme pas aussi sombre que certaines pratiques le laissent aujourd’hui penser. Reste à savoir si d’autres “Iwata-san” émergeront pour nous offrir à la fois des produits et des idées capables de nous stimuler plutôt que de nous transformer en esclaves. On ne peut que recommander ce livre stimulant dont on se dit qu’il pourra semer quelques graines dans la tête des plus jeunes d’entre nous.
Odaira Namihei
Référence
AINSI PARLAIT IWATA-SAN, de Iwata Satoru, trad. par Djamel Rabahi, Mana Books, 2021, 17€.