Le célèbre restaurant new-yorkais propose un livre de recettes qui va bien au-delà de la simple compilation de plats.
Kajitsu, le restaurant doublement étoilé qui se situe à New York, propose depuis son ouverture en 2009 une cuisine shôjin, autrement dit “la cuisine des moines”, qui consiste à ne pas utiliser de protéines animales et certains légumes trop odorants en fonction des écoles. Elle peut être sobre, mais celle proposée par ce lieu est très sophistiquée, et on pourrait presque oublier qu’elle repose sur le principe du “sans” viande ni poisson… Car l’essentiel est ailleurs : faire sentir la nature dans la ville. Récemment, l’établissement a publié un livre de recettes, qui est bien plus que cela en réalité : il nous fait ressentir la sensibilité propre à cette cuisine pratiquée dans les temples.
Dans cet ouvrage, on explique comment inviter les deux saisons, new-yorkaise et celle de la cuisine japonaise traditionnelle, dans l’assiette. Pour accueillir le printemps new-yorkais où les contrastes peuvent être flagrants, et l’énergie vivace des jeunes feuilles de Central Park, le livre propose une entrée au dashi onctueuse, chauffée à la vapeur avec des fleurs et des feuilles de cerisier, ou un tôfu aux fèves. En été, la vichyssoise est servie dans des agrumes de saison vidés de leur contenu, en guise de bol. Il est des plats gourmands qui arrivent avec la venue du froid tel le mochi aux truffes ou le potage au sakekasu (lie de saké, voir aussi Zoom Japon n°84, octobre 2018). Un autre agrume, le yuzu, apparaît aussi pour servir de contenant au tôfu ; il est cuit au four pour que jaillisse le parfum doré de ce fruit d’hiver par excellence.
Finalement, parmi tout ce que nous mettons en bouche, les végétaux sont les êtres qui vivent le plus dans une seule saison, contrairement aux animaux qui traversent les saisons et les années. Dans ce sens, ne pourrait-on pas dire que la cuisine végétale peut être celle qui reflète plus sensiblement chaque moment de l’année ? Ce n’est pas sans raison si ce livre s’ouvre par un extrait de Notes de ma cabane de moine (Hôjôki, trad. par R. P. Sauveur Candau, Gallimard-Unesco) de Kamo-no-Chômei, qui exprime sa vision de ce monde éphémère : “le courant de la rivière qui s’écoule ne s’interrompt pas et pourtant l’eau n’est pas la même qu’auparavant…”
En parcourant cet ouvrage, on se rend compte combien la cuisine est également l’affaire de la pensée, un lieu pour réfléchir à notre lien avec ce monde. La beauté de la cuisine de Kajitsu vient de la préciosité de la vie, et le cuisinier sublime la nature dans sa forme la plus noble.
Dans le monde entier, les personnes qui s’intéressent à la cuisine végétale, dans le sens large, sont de plus en plus nombreuses. Mais en Europe, ou en tout cas en France, les offres demeurent souvent occidentales bien que quelques propositions “orientales”, sous l’influence Ottolenghi se mettent à faire leur apparition.
Quand nous aurons plus de cuisines végétales à la japonaise, à la taïwanaise, à l’indienne, à la libanaise, à la coréenne ou encore à l’italienne à notre portée, notre univers culinaire développera un lien plus proche avec les végétaux, et nous apprendrons également plusieurs façons de vivre avec la nature.
Sekiguchi Ryôko
Référence
Kajitsu, A Shôjin Restaurant’s Season in the City, de Tanaka Toshie, photographies de Yoshikawa Hiroyuki, Fuka Honten, 2020, 80 €.