S’il est de nouveau possible de se rendre au Japon en novembre, ne manquez pas l’événement Nishikigoi.
Ce ne peut pas être le bon endroit ! A l’entrée du parc se trouvent les statues d’un Don Quichotte chevaleresque et d’un Sancho Panza désespéré. Derrière eux s’élève une église de style espagnol. Tout cela n’a pas l’air très japonais. Du moins, ce n’est pas le genre d’endroit où l’on s’attend à trouver une exposition de carpes koï.
Car il s’agit de Portopia, un exemple de la prédilection du Japon pour les parcs à thème qui recréent un petit coin d’un climat étranger exotique, en l’occurrence un village de pêcheurs andalou. Portopia se trouve juste à côté de Kure, grand centre de la construction navale nippone où fut notamment construit le légendaire cuirassé Yamato, à une trentaine de kilomètres de la côte de Hiroshima.
Il n’est plus exploité depuis longtemps comme parc à thème, mais reste ouvert au public, avec ses rues et ses maisons espagnoles intactes. Situé sur le rivage de la mer Intérieure, Portopia offre également une vue magnifique sur les îles brumeuses. La plus grande, Etajima, semble assez proche pour être touchée. Ce cadre photogénique en fait un lieu très prisé des jeunes amateurs de cosplay, qui affluent ici chaque week-end pour se prendre en photo les uns les autres.
Heureusement, nous apercevons bientôt plusieurs rangées de grandes cuves en vinyle bleu qui brillent au soleil. Dans chacune, une grande carpe koï colorée. Nous sommes finalement au bon endroit. Car Portopia est aussi le lieu de l’exposition annuelle de Nishikigoi de la préfecture de Hiroshima. Cette exposition de carpes koï se tient ici le dimanche le plus proche du 3 novembre, jour férié national de la Journée de la culture au Japon.
Dans tout le Japon, le 3 novembre est un jour où des événements culturels de toutes sortes, des défilés aux expositions d’art, sont organisés pour promouvoir la sensibilisation à la culture japonaise. Les événements comprennent également des cérémonies de remise de prix en l’honneur d’artistes et d’universitaires distingués. La cérémonie la plus remarquable est celle de l’Ordre de la culture, présidée par l’empereur lui-même. Ce prix est décerné à ceux qui ont contribué à des avancées significatives dans les arts et la culture. Bien qu’il soit généralement décerné à des citoyens japonais, l’Ordre de la culture a également été attribué aux astronautes d’Apollo 11 et à l’écrivain et spécialiste du Japon Donald Keene.
Le 3 novembre a été désigné pour la première fois comme jour férié en 1868, pour célébrer l’anniversaire de l’empereur Meiji nouvellement restauré. Après sa mort en 1912, il a cessé d’être un jour férié jusqu’en 1927, date à laquelle il a été réintroduit sous le nom de Meiji Setsu (observation de l’empereur Meiji), pour honorer le souverain défunt.
En 1948, le nom a de nouveau changé, devenant cette fois la Journée de la culture, pour commémorer le 3 novembre 1946, date à laquelle la nouvelle Constitution du Japon est devenue une loi, remplaçant le précédent texte suprême.
De nos jours, de nombreuses écoles organisent leur festival culturel, ou bunkasai, autour du 3 novembre. Il s’agit d’événements très populaires au cours desquels les différents clubs de l’école organisent des spectacles (koto, fanfare, etc.) ou des expositions en classe (ikebana, manga, calligraphie, sciences). Le club de cérémonie du thé organise des démonstrations que les visiteurs peuvent apprécier. A l’extérieur, sur le terrain de sport, des stands de nourriture – tenus par les élèves eux-mêmes – vendent des mets de fête allant des râmen (voir Zoom Japon n°26, décembre 2012) aux hashimaki (sorte de crèpes enroulées autour d’un bâton) en passant par le kakigôri (glace râpée), les dagashi (sucreries traditionnelles bon marché) et les dango (boulettes de riz). Le 3 novembre apporte donc une grande ambiance festive à l’automne, mettant tout le monde dans l’esprit festif et culturel. Et l’événement Nishikigoi de la préfecture de Hiroshima est un autre exemple de cette célébration collective de la culture japonaise.
De retour à Portopia, le temps exceptionnellement chaud et le cadre du front de mer créent une atmosphère de détente agréable. Sous le doux soleil de novembre, les visiteurs déambulent de cuve en cuve, appréciant l’impressionnante exposition de plus de 650 koïs. Les éleveurs échangent des blagues et des anecdotes, les juges prennent des notes et les acheteurs et vendeurs concluent des marchés de plusieurs millions de yens.
Un grand type en uniforme bleu marine se présente à nous. Il s’agit de Nishikawa Seiichi. Il porte l’uniforme de la ferme de pisciculture Sakai, un grand éleveur de koïs en gros à Mihara, à 100 kilomètres à l’est de Hiroshima. L’entreprise a été créée il y a plus de cent ans, nous dit-il, et produit environ 12 millions d’alevins par an. “Sakai existe depuis de nombreuses années. Mais nous nous sommes tenus au courant des nouvelles technologies, comme l’élevage en eau chauffée, et une machine originale d’alimentation automatisée”, explique-t-il. “Hiroshima est l’une des meilleures régions d’élevage de koïs de tout le Japon. La préfecture de Niigata est peut-être plus célèbre, mais Hiroshima est également très appréciée pour la qualité de ses koïs”, ajoute-t-il fièrement.
En effet, aucun visiteur ne peut manquer de remarquer l’amour de Hiroshima pour les koïs. L’équipe de baseball locale s’appelle les Hiroshima Carp. Le château de Hiroshima, symbole de la renaissance de la ville après la guerre, est connu localement sous le nom de château des carpes. Ses grandes douves sont remplies de dizaines de carpes colorées. Une grande statue de koï se dresse à l’entrée du parc central, tandis que les pavés de la rue Kamiyachô, au centre-ville, sont ornés de motifs colorés représentant des koïs. A Hiroshima, les carpes d’ornement ne sont pas un hobby de spécialistes, mais font partie intégrante de la vie quotidienne.
“De nombreuses personnes viennent à Portopia de tout le Japon, et d’autres pays, pour acheter des koïs. L’aéroport de Hiroshima envoie des koïs dans le monde entier. Notre ferme a des clients en Amérique, en Europe et dans le reste de l’Asie”, rappelle Nishikawa Seiichi. Comme pour confirmer ce qu’il dit, un groupe voisin d’une douzaine d’Américains est en train de négocier intensément avec l’un des éleveurs. Des visiteurs de plusieurs autres pays asiatiques sont également présents. Mais pourquoi la plupart des grandes cuves bleues ne contiennent-elles qu’une seule carpe koï ?
“Jusqu’à il y a cinq ans, ils mettaient des carpes koï de différents éleveurs dans la même cuve. Mais ils ont eu des problèmes d’infection. Alors pour éviter la contamination, maintenant chaque éleveur se voit attribuer une cuve différente”, assure le représentant de la ferme Sakai. La remise des prix commence à 14h et se poursuit pendant une bonne demi-heure, avec une grande table à tréteaux remplie de coupes, trophées et plaques à présenter. Les juges décernent le grand prix à une carpe femelle de quatre ans.
Combien coûte l’achat d’une telle beauté ? “Environ 7 millions de yens (plus de 53 000 €)”, répond M. Nishikawa. “Mais peu d’éleveurs seraient prêts à s’en séparer après tout l’investissement en temps et en argent qu’ils ont consacré à son élevage. Il vaut mieux commencer par un petit koï”, poursuit-il en montrant les auvents ombragés sous lesquels reposent des dizaines de sacs de petits koïs pour environ 10 000 yens (environ 77 €).
Et lorsqu’on lui demande pourquoi les juges lui ont attribué le premier prix, l’homme hésite et cherche ses mots pour exprimer des concepts qui vont au-delà des simples critères techniques et qui s’appuient sur une appréciation plus profonde et plus intuitive de la beauté. “Pour nous, Japonais, tout est lié à la coloration – la clarté des couleurs et la façon dont elles se mélangent les unes aux autres. Vous voyez ?”, dit-il en désignant la cuve contenant le lauréat. “Ensemble, le rouge, le noir et le blanc se combinent pour former un motif qui ravit le cœur. Si vous connaissez bien le nishikigoi, vous finirez par apprécier ces magnifiques motifs et la profondeur des couleurs”, ajoute-t-il, tel un amateur d’art décrivant son tableau préféré.
La remise des prix est suivie d’une tombola, qui semble être presque aussi attendue que la remise des prix, et qui dure aussi longtemps. Les deux tables remplies de prix vont de sacs géants de nourriture pour poissons à des sacs de riz de 10 kg (fraîchement récolté), en passant par un four à micro-ondes et une télévision. Aucun de nos billets ne gagne quoi que ce soit. “Mais vous avez eu beaucoup de chance aujourd’hui”, sourit Nishikawa Seiichi. “Vous avez eu une grande chance de découvrir une partie unique de la culture japonaise. Ce n’est pas tous les jours que les étrangers peuvent être témoins de quelque chose comme ça. Les nishikigoi sont très importants pour nous. Alors, s’il vous plaît, appréciez les koïs et profitez-en dès que vous le pouvez.” Il a bien sûr raison. Le privilège d’assister à l’exposition de carpes koïs était la meilleure des récompenses.
Steve John Powell & Angeles Marin Cabello
POUR S’Y RENDRE
DEPUIS LES GARES DE Tôkyô ou d’ôsaka, il suffit d’emprunter le Shinkansen jusqu’à Hiroshima. Changez pour la ligne Kure, en direction de Mihara et descendez à la gare
de Kure-Portopia.
3-2-3 Tennôhama, Kure, Hiroshima 737-0875
www.kurepo.com