Des tonnes de béton contre la nature
L’un des arguments des habitants et des personnes opposés à la construction de ce gigantesque mur concerne son impact sur l’écologie et la nature de cette vaste zone côtière. La région de Sanriku, qui va d’Iwate jusqu’à la partie septentrionale de la préfecture de Miyagi, est célèbre pour ses magnifiques paysages sauvages. C’est ici qu’on rencontre des pins sur de minuscules rochers qui se dressent sur la ligne de front de l’océan Pacifique. C’est aussi là que la terre et la mer se rencontrent au pied d’une immense falaise. Ce paysage sauvage est un des symboles de cette partie du Japon. Voilà pourquoi la digue qui court sur des kilomètres le long de ce paysage sauvage et son impact sur l’environnement constituent une question fondamentale pour les habitants.
Dans une tribune, Hiroshige Takashi, professeur à l’université de Waseda, à Tôkyô, estime que le mur aura un effet sur “la fixation de la position du littoral”. Il remarque également que certaines collectivités locales ont décidé d’abaisser le mur dans des zones où il n’y a aucun bien à protéger. Dans un long document de recherche intitulé The Coastal Environment and the Reconstruction Process after the Great East Japan Earthquake [L’environnement côtier et le processus de reconstruction après le grand séisme de l’Est du Japon, 2018, inédit en français], Vincent Santiago Fandiño et Erick Mas ont identifié plusieurs points où le mur peut avoir un effet sur l’environnement naturel de la zone côtière, mais aussi sur l’économie. Les deux chercheurs pensent que le mur arrêtera ou ralentira la géomorphologie et l’adaptation du niveau de la mer dans la mesure où le mur va empêcher l’interaction entre la mer et le rivage. Ils affirment aussi que “la digue aura un impact sur le transport des sédiments et l’érosion côtière.” Celui-ci concernera le flux d’eau et le mouvement des nutriments avec des conséquences sur la biodiversité. Certains animaux sauvages vont au bord de la mer la nuit, il est presque certain que la digue bouleversera leur existence. “En dernier lieu, les structures construites sont en général esthétiquement peu agréables et vont avoir un fort impact sur les activités touristiques tout en rompant le lien des populations locales avec la mer”, poursuivent les deux scientifiques.
Dix ans après les incroyables images de dévastation, le Nord-Est de l’Archipel entrevoit le bout du tunnel. Bien sûr, la tragédie liée à la disparition d’êtres chers demeure vive, mais la fin de la reconstruction dans la plupart des villes permet aux habitants d’envisager un nouveau départ. La gigantesque digue rappelle ce qui s’est passé et comment la nature peut être puissante et incontrôlable. Elle fait désormais partie intégrante du paysage de la région.
Ce projet en a déjà inspiré d’autres dans le pays. Cette année, à Hamamatsu, préfecture de Shizuoka, au sud-ouest de Tôkyô, un mur titanesque de 15 mètres de haut et de 17,5 kilomètres de long y a été achevé. Comme elle est située dans une zone à haut risque – on redoute notamment le grand tremblement de terre qui pourrait frapper la région du Kantô à tout moment –, les autorités ont donc choisi de prévenir…
Nicolas Datiche