Dans leur remarquable ouvrage, Anne Gonon et Christian Galan dressent un portrait saisissant des jeunes Japonais.
A peine était-il désigné Premier ministre que Kishida Fumio, après sa victoire dans l’élection interne au Parti libéral-démocrate (PLD), a décidé de dissoudre la Diète et de convoquer les Japonais devant les urnes. En faisant ce choix, il savait que le PLD avait très peu de chances de perdre la majorité à la Chambre basse dans un contexte de morosité politique comme on en a rarement vécu dans le pays depuis la Seconde Guerre mondiale. Globalement, les Japonais sont peu mobilisés par une classe politique qu’ils jugent ennuyeuse. D’ailleurs, les différents sondages sur les intentions de vote montrent que leur participation restera faible, en particulier chez les plus jeunes. Or s’il est une classe d’âge qui pourrait faire basculer la majorité, c’est bien celle des 18-25 ans. Or c’est celle qui est la moins politisée et celle qui se déplace le moins dans les bureaux de vote. Le taux de participation aux dernières élections à la Chambre basse, tous groupes d’âge confondus, a été de 53,68 %. Un chiffre qui descendait à 40,49 % chez 18-19 ans et à 33,85 % chez les jeunes de 20 ans.
Pour comprendre ce phénomène, il convient de lire le remarquable essai signé par Anne Gonon et Christian Galan (Editions Le Bord de l’eau, 20 €). Intitulé Occupy Tôkyô : SEALDs, le mouvement oublié, cet ouvrage revient sur une courte période, au milieu des années 2010, au cours de laquelle une partie de la jeunesse, essentiellement étudiante, a tenté de s’opposer à la politique menée par le PLD, en particulier dans le domaine militaire, comme ce fut le cas dans les années 1960. Pour beaucoup d’observateurs, l’émergence de ce mouvement après plusieurs décennies d’absence de mobilisation avait été accueillie avec soulagement même si certains l’avaient critiqué en le présentant comme “populiste” ou “élitiste” de manière à tenter de le disqualifier. Malheureusement, en dépit du soutien de quelques figures intellectuelles comme Takahashi Gen’ichirô (voir Zoom Japon n°83, septembre 2018), les SEALDs ne sont pas parvenus à imposer une nouvelle forme de vie. “Leur échec à redéfinir la culture politique autour de valeurs démocratiques que sont l’égalité et la participation a par ailleurs très concrètement montré les limites d’une démocratie en panne qui ne sait pas quoi faire des jeunes qui veulent prendre part à la vie publique”, soulignent très justement les deux universitaires français dans leur livre qui cerne très bien la problématique auquel le Japon est confronté.
Au fond, ce que met en évidence l’analyse d’Anne Gonon et de Christian Galan, c’est l’incapacité de la société japonaise à donner leur place aux jeunes qui préfèrent se mettre en retrait de la vie politique dans la mesure où ils ne réussissent plus à s’intégrer depuis que le modèle social s’est effondré au lendemain de la crise induite par l’éclatement de la bulle financière au tournant des années 1990. C’est d’autant plus dommage que le vieillissement accéléré du pays fait de ces individus une minorité silencieuse à laquelle personne n’accorde d’intérêt.
A la lecture de ce livre très éclairant, on comprend qu’il existe des possibilités de sursaut au sein de la jeunesse. Pour le scrutin du 31 octobre, des personnalités du monde artistique, des acteurs et actrices comme Suda Masaki, Oguri Shun et Hashimoto Kanna se sont engagés dans une campagne baptisée Voice project : Tôhyô wa anata no koe (“Ton vote, c’est ta voix”) afin d’encourager les jeunes à voter. Mais cela reste insuffisant pour changer la donne.
Odaira Namihei