Le quartier situé au nord-est de la capitale d’où est originaire Tora-san vit toujours au rythme du personnage.
Otoko wa tsurai yo [C’est dur d’être un homme] appartient peut-être au passé, mais les fans de Tora-san peuvent revisiter la série et ses nombreux lieux de tournage lors d’un événement annuel qui se déroule à Shibamata, le quartier où vivent les Kuruma, la famille fictive du personnage créé par Yamada Yôji.
Selon Aramaki Shô, du département du tourisme de l’arrondissement de Katsushika (voir Zoom Japon n°93, septembre 2019), qui est en charge de cet événement de deux jours, le Tora-san Summit (https://torasan-summit.jp, www.facebook.com/torasan et www.instagram.com/torasan_summit), comme on l’appelle, est né en 2015 d’une proposition du président de la Jinmeikai, l’association locale des commerçants de la rue où se trouve le magasin de dango de la famille de Tora-san. “Nous vivons à une époque où tout semble changer à un rythme effréné. C’est pourquoi le temps est venu de réévaluer les choses qui restent inchangées. Shibamata est l’un de ces endroits et la série Otoko wa tsurai yo présente des lieux et des paysages – non seulement à Shibamata mais dans tout le Japon – qui ont su conserver leur charme traditionnel. Le réalisateur Yamada Yôji, a lui-même exprimé son souhait que ces lieux restent fidèles à leurs valeurs traditionnelles et ne succombent pas aux vents du changement”, rappelle le fonctionnaire. La Jinmeikai est également à l’origine de l’installation des statues de Tora-san et de sa sœur Sakura sur le parvis de la gare de Shibamata. L’association a financé le projet tandis que l’arrondissement de Katsushika est désormais chargé de les entretenir.
Le Tora-san Summit se déroule autour de certaines des principales attractions et lieux de tournage de Shibamata, comme la rue commerçante, le temple bouddhiste Taishakuten et le musée Tora-san. Si la structure de base et l’ambiance de l’événement n’ont pas changé, à chaque édition, les organisateurs s’efforcent d’introduire de nouveaux éléments et participants. “En 2019, pour célébrer à la fois le cinquième anniversaire du sommet et le 50e anniversaire de la série, Yamada Yôji et certains des acteurs encore en vie (Baishô Chieko, Maeda Gin et Satô Gajirô) ont fait une apparition spéciale et ont partagé leurs souvenirs concernant leur rôle respectif et des anecdotes sur les films”, se souvient Aramaki Shô.
La relation entre Shibamata et Yamada Yôji est assez unique. Aucun autre réalisateur n’a jamais tourné de films au même endroit pendant autant d’années. Entre 1969 et 1989, il a en fait réalisé deux films par an, si bien qu’il aime à dire que Shibamata est devenu sa terre natale. Ce lien étroit, presque symbiotique, avec la saga Tora-san a été extrêmement bénéfique pour Shibamata qui, en 2018, a été sélectionné comme “paysage culturel important” par l’Agence pour les Affaires culturelles. “Les habitants de Shibamata sont évidemment fiers de leur patrimoine et de leur lien avec Tora-san et ils sont impatients de présenter l’histoire culturelle locale aux nombreux visiteurs qui font le déplacement, parfois de loin, vers ce petit coin de Tôkyô”, ajoute le fonctionnaire.
Le sommet lui-même n’a cessé de gagner en popularité, avec une fréquentation qui, après les 21 000 visiteurs de la première édition en 2015, s’établit désormais autour de 90 000 personnes. “Nous avons eu de la chance qu’en 2017, la chaîne TV Tokyo ait diffusé une émission spéciale sur Shibamata dans laquelle il était question de cet événement. Grâce à cette publicité inattendue, la fréquentation a soudainement grimpé, passant de 38 000 à 88 000 visiteurs. Elle est restée très élevée depuis”, se félicite Aramaki Shô.
Interrogé sur la popularité du Tora-san Summit, il affirme qu’il n’est pas nécessaire d’être un fan du personnage pour apprécier l’événement. “Shibamata est un excellent exemple de ce que les Japonais désignent sous l’expression ‘Shôwa Retro’”, dit-il. L’ère Shôwa s’est étendue de 1926 à 1989, mais le terme “Shôwa Retro” fait spécifiquement référence aux années allant du milieu des années 1950 à la fin des années 1960. Beaucoup de gens regardent avec nostalgie ce moment de l’histoire du Japon, le “bon vieux temps” où tout le monde envisageait l’avenir avec optimisme.
“De nombreux autres lieux du Japon sont également représentés chaque année lors de notre événement. Une visite au Tora-san Summit est donc une bonne occasion de planifier votre prochain voyage au Japon”, assure Aramaki Shô. “Enfin, la gastronomie joue un rôle important dans les festivités, car chaque année, nous proposons de nouveaux plats qui attirent de nombreux gourmands.”
En matière de nourriture, Shibamata est synonyme de dango (voir Zoom Japon n°114, octobre 2021), boulettes de riz gluant, car c’est ce que la famille de Tora-san vend dans sa boutique à l’ancienne près de Taishakuten. Pendant la période Edo (1603-1867), cette région était entourée de champs et les fermiers avaient l’habitude de préparer des boulettes avec du yomogi (armoise du Japon), une plante de la famille des tournesols. Les filles des fermiers qui allaient travailler dans les résidences de samouraïs et les grandes maisons de marchands pour leur apprentissage avaient l’habitude de les apporter en cadeau. Mais bien sûr, le Tora-san Summit ne se limite pas à cette spécialité. “En tant que fonctionnaire responsable de l’événement, je ne devrais pas révéler mes goûts personnels, mais parmi les plats proposés cette année, j’aime particulièrement le gâteau roulé au thé vert grillé d’Okayama et le gâteau roulé à la farine de riz d’une confiserie japonaise locale. Mais bien sûr, l’offre alimentaire va bien au-delà du sucré. Il y en a pour tous les goûts”, ajoute Aramaki Shô, sourire aux lèvres.
En ce qui concerne les projets futurs pour ce rendez-vous annuel, il explique que le défi pour Shibamata est d’attirer les jeunes générations qui ne connaissent peut-être pas Tora-san. “Il est vrai que beaucoup d’adolescents et de jeunes de 20 ans n’ont jamais vu un film de la série. Cependant, nous espérons que des lieux tels que le musée Tora-san serviront de catalyseurs pour susciter un nouvel intérêt pour le quartier. De nombreux visiteurs plus âgés amènent souvent leurs petits-enfants avec eux. Nous espérons qu’ils transmettront à ces enfants leur amour pour Tora-san”, déclare le responsable de l’événement.
Selon le site Internet du Tora-san Summit, “les paysages en constante évolution et les valeurs humaines sont un élément central de la série Otoko wa tsurai yo, et cet événement vise à protéger à la fois ces lieux et ces idées comme une caractéristique importante de ce pays.” Aramaki Shô convient que ces valeurs doivent être entretenues pour les générations futures. “Le modèle de la famille nucléaire s’est répandu au Japon, mais j’ai grandi dans une famille où vivaient ensemble trois générations et je suis reconnaissant d’avoir pu partager mon existence avec mes grands-parents. Les films de Tora-san montrent l’importance de partager les choses heureuses et tristes de la vie avec sa famille et la communauté locale. Chacun a un paysage original dans son cœur. Il est différent pour chaque personne et peut être un paysage réel ou imaginaire. Quel que soit le lieu, il a le pouvoir de vous rendre nostalgique et de vous ramener à vos souvenirs d’enfance. En protégeant ces lieux, nous espérons entretenir les “paysages du cœur” qui résident en chacun d’entre nous”, résume celui qui a accueilli, les 20 et 21 novembre, des milliers de personnes venues se ressourcer le temps d’un week-end dans le quartier de Shibamata où résonne encore l’esprit de cette série cinématographique entrée dans la légende.
Ceux qui voudraient en savoir plus sur le personnage et la série peuvent visiter le musée Tora-san, situé à 200 mètres du temple Taishakuten. Ils découvriront ainsi l’univers du camelot ainsi que les principaux personnages qui ont contribué à faire de ces films un succès hors du commun. Le même bâtiment abrite un espace consacré à Yamada Yôji, le créateur de Tora-san, qui a réalisé 48 des 50 films de la série. On lui doit également 41 autres longs-métrages parmi lesquels quelques chefs-d’œuvre entrés dans l’histoire du cinéma japonais.
G. S.