Lors d’un entretien exclusif, Yamada Yôji et Baishô Chieko soulignent l’influence du personnage sur le pays.
Yamada Yôji a réalisé 89 films. Le dernier, Kinema no kamisama (It’s a Flickering Life, inédit en France) est sorti sur les écrans début août, un peu plus de 18 mois après le 50e épisode de la série Otoko wa tsurai yo [C’est dur d’être un homme]. Bien qu’il ait tourné près de 41 films en dehors de cette série parmi lesquels de nombreux chefs-d’œuvre comme Kazoku (When Spring Comes Late, 1970) ou Les Mouchoirs jaunes du bonheur (Shiawase no kiiroi hankachi, 1977) tous deux présentés fin novembre au Festival des 3 continents à Nantes, il doit en grande partie sa notoriété à cet ensemble inscrit depuis 1984 dans le Livre Guinness des records comme la plus longue série de l’histoire du cinéma mondial. Les aventures de Tora-san incarné par Atsumi Kiyoshi ont passionné des millions de spectateurs. Selon la Société de production et de distribution japonaise Shôchiku, près d’un Japonais sur trois les a suivies tout au long des 26 ans qu’elles ont été filmées. La disparition d’Atsumi Kiyoshi en août 1996 a mis fin à la sortie annuelle ou biannuelle des films. Et il a fallu attendre 2019 pour que le cinéaste décide de tourner un ultime épisode avec les acteurs encore en vie, en construisant une histoire à l’intérieur de laquelle il a intercalé des extraits des volets précédents tout juste restaurés en 4K par la Shôchiku.
Parmi eux, figurait Baishô Chieko qui, dans la série, interprète Sakura, la demi-sœur de Tora-san. Comme lui, elle a été hissée au rang d’icône nationale pour son rôle. D’ailleurs, sur le parvis de la gare de Shibamata, à Tôkyô, le quartier où Yamada Yôji a choisi d’implanter ses personnages, Sakura dispose d’une statue en bronze inaugurée en 2017. Elle fait face à celle de Tora-san qui a été installée en août 1999, trois ans après la mort de l’acteur qui l’incarnait. Alors que nous nous apprêtons à entrer dans l’année du Tigre, selon la tradition chinoise, la Maison de la culture du Japon à Paris a décidé de consacrer une année à Tora-san dont le nom traduit en français signifie “M. Tigre”.
Si l’on ajoute la publication de la première biographie consacrée à Yamada Yôji en France, Le Japon vu par Yamada Yôji (Editions Ilyfunet) par le fondateur de ce magazine, on peut considérer que les Dieux du cinéma (Kinema no kamisama pour reprendre le titre original du dernier film de Yamada Yôji) ont décidé d’offrir au cinéaste une visibilité dont il avait été privé en France. C’est d’autant plus vrai que Carlotta, le distributeur spécialisé dans le patrimoine cinématographique, a annoncé la sortie des Mouchoirs jaunes du bonheur au cours du premier trimestre de 2022. Zoom Japon, qui défend depuis longtemps l’œuvre de Yamada Yôji (voir Zoom Japon n°49, avril 2015), ne pouvait donc pas faire l’impasse sur ces événements.
Nous avons donc réuni pour une interview exclusive le cinéaste et l’actrice Baishô Chieko afin d’évoquer Tora-san et la trace qu’il a laissée dans la mémoire collective des Japonais.
Vous avez créé Tora-san, l’un des personnages les plus emblématiques du cinéma japonais. Qu’est-ce qui vous a inspiré ?
Yamada Yôji : Tout a commencé avec Atsumi Kiyoshi. C’était un comédien tellement brillant que je voulais créer un personnage à la hauteur de son talent. Puis Kuma-san m’est venu à l’esprit. Kuma-san est un personnage de rakugo (art du conte humoristique) très populaire, l’idiot bon à rien typique. J’ai toujours été un grand fan de ce mode d’expression et j’ai réalisé qu’Atsumi-san était né pour jouer un personnage inspiré par Kuma.
Après la fin de la série télévisée Otoko wa tsurai yo que vous aviez écrite pour Fuji TV, transformer l’histoire en film n’a pas été facile. Les responsables de la programmation de la Shôchiku y étaient opposés. Comment avez-vous finalement réussi à obtenir le feu vert ?
Y. Y. : Il est vrai qu’au début, personne n’aimait l’idée d’en faire un film. Certes, le feuilleton télévisé avait été un succès, mais les producteurs de l’époque n’avaient pas l’habitude de transformer les séries télévisées en films. Mais je n’ai pas pour autant baissé les bras. Je me suis tourné vers Kido Shirô, le patron du studio, pour plaider ma cause. Je l’ai tellement ennuyé qu’il a fini par dire oui, allant à l’encontre de l’opinion générale selon laquelle le film serait un gros flop.
En fait, la plupart des films produits au Japon aujourd’hui sont des adaptations de séries télévisées. Rétrospectivement, vous avez donc été une sorte de pionnier.
Y. Y. : Vous pouvez me qualifier de pionnier si vous voulez, mais dans mon cas, la décision de faire un film autour de Tora-san ne faisait pas partie d’un business plan calculé. Vous voyez, à la fin du feuilleton télévisé, Tora-san est tué par un serpent venimeux. J’étais prêt à tourner la page et à lancer un nouveau projet, mais la chaîne Fuji TV a été inondée de lettres et d’appels téléphoniques de fans furieux qui ne voulaient pas que Tora-san meure. Je n’avais pas réalisé cet engouement pour le personnage et j’ai décidé de rattraper mon erreur en lui donnant une nouvelle vie sous forme de film.
Au départ, vous ne deviez faire qu’un seul film, n’est-ce pas ?
Y. Y. : Oui, ce devait être une production unique. Mais comme le film a connu un énorme succès, tous les sceptiques ont changé d’avis et m’ont demandé de faire une suite. C’est pourquoi le deuxième film a pour titre Zoku Otoko wa tsurai yo, littéralement “la suite” d’Otoko wa tsurai yo (le titre international Tora-san’s Cherished Mother n’en rend pas compte).
Finalement, c’est devenu un projet de longue haleine. Pourquoi pensez-vous qu’elle soit devenue si populaire ?
Y. Y. : Tout d’abord, les personnages principaux, à commencer bien sûr par Tora-san, avaient un énorme attrait. Atsumi Kiyoshi et Baishô Chieko, qui joue la petite sœur de Tora-san, sont des acteurs incroyablement doués et leur jeu a été déterminant pour gagner le cœur des gens. Une autre raison du succès des films est liée au moment historique particulier que le Japon vivait alors. Le soi-disant miracle économique du Japon changeait le pays de plusieurs façons, pas toujours pour le mieux. Par exemple, les petites villes et les campagnes se dépeuplaient alors qu’un nombre croissant de personnes partaient vers les grandes villes à la recherche de meilleurs emplois. Je pense que de nombreux Japonais étaient inquiets de la façon dont la société et les relations familiales étaient affectées. Ils ont commencé à se demander si ces changements profonds représentaient un réel progrès. Puis ils sont allés au cinéma et ont vu un Japon familier où les relations humaines étaient encore régies par la tradition et où les lieux visités par Tora-san n’avaient pas encore été ruinés par un progrès économique insensé.
Baishô Chieko : Il est dommage que le sens de la communauté ait disparu avec l’évolution de notre mode de vie. Quand j’étais petite, il était courant de saluer nos voisins et de discuter avec les gens dans la rue. Mais aujourd’hui, beaucoup de gens habitent dans de grands immeubles et ne savent pas qui vit autour d’eux. Ils connaissent même à peine leurs voisins. Lorsque j’ai commencé à vivre seule, je me sentais si seule que je me suis rapidement liée d’amitié avec les femmes qui vivaient à côté de moi (rires).
Y. Y. : Les gens qui regardent ces scènes de la vie quotidienne ou qui visitent la rue commerçante de Shibamata où se trouve la boutique de dango (voir Zoom Japon n°114, octobre 2021) de l’oncle de Tora-san, ressentent un sentiment de nostalgie. Ils regardent même avec envie les scènes de dispute entre Tora-san et sa famille, car même ce genre de situation est un moyen de communiquer ses propres sentiments. Aujourd’hui, au contraire, plus personne ne se dispute, les gens ont cessé de se parler.
Au total, vous avez écrit 50 épisodes. Comment avez-vous réussi à faire en sorte que le public ne s’ennuie pas ?
Y. Y. : Je pense que la clé du succès prolongé de la série est lié à la connaissance intime des personnages – Tora-san et Sakura, mais aussi leur oncle et leur tante, leur voisin Tako, etc. – qu’avaient les spectateurs. Ils les connaissaient si bien qu’ils faisaient presque partie de la famille, et chaque nouveau film était l’occasion de les retrouver. Certaines personnes peuvent penser que la répétition d’un même schéma devient ennuyeuse au bout d’un moment, mais je crois qu’il y a aussi de la beauté et du pathos dans l’habitude et l’intimité.
En un sens, Tora-san et sa famille sont devenus nos voisins.
Y. Y. : Exactement. Et le public en est venu à chérir le sens de la communauté affiché dans les films de la série. Dans les années 1970 et 1980, les relations de voisinage ont progressivement disparu, au point qu’aujourd’hui, nous saluons à peine nos voisins. Mais dans le Shibamata de Tora-san, les gens font toujours attention à leurs voisins. Bien sûr, les fans de Tora-san savent bien que l’atmosphère dépeinte dans ces histoires est plutôt anachronique, mais ils apprécient quand même le sentiment de chaleur et de nostalgie qui s’en dégage.
Quelle est la partie du processus de réalisation d’un film que vous appréciez le plus ? Et quelle est la partie qui vous semble la plus difficile ?
Y. Y. : L’écriture d’un nouveau scénario est toujours un défi. Vous partez de zéro, et il arrive que vous fixiez la page blanche devant vous et que les bonnes idées ne sortent pas. D’un autre côté, le tournage proprement dit est toujours un plaisir, encore plus lorsque je faisais les films de Tora-san, car une ou deux fois par an, pendant 26 ans, je retrouvais ma grande famille. Et je ne parle pas seulement des acteurs. J’avais les mêmes collaborateurs, et l’équipe qui travaillait sur les décors et les costumes était toujours la même.
Baishô-san, lorsque Yamada-san vous a présenté le personnage de Sakura, qu’est-ce qui vous a attiré dans ce rôle ?
B. C. : De nombreuses années ont passé, mais je me souviens encore avoir ri et pleuré en lisant le scénario. Sakura, en particulier, me rappelait de nombreuses personnes que je connaissais. J’étais tellement excitée que j’avais hâte de commencer le tournage. Les autres personnages étaient si bien rendus sur le papier que je voulais les rencontrer sur le plateau.
Je me souviens aussi que pendant le tournage du premier film, la réalité et la fiction se sont mélangées. Dans l’histoire, Sakura se marie et a un bébé. Ma sœur aînée était enceinte à l’époque, j’ai donc observé son comportement et appris d’elle ce que c’était que de devenir mère.
Un an après la mort d’Atsumi Kiyoshi, vous avez écrit un livre intitulé Oniichan [Grand frère, inédit en France]. Pouvez-vous nous parler de la relation étroite qui s’est développée entre vous et l’acteur, au point que le public se souviendra toujours de vous comme de Sakura et Tora-san ?
B. C. : J’avais un amour et un respect profonds pour Atsumi Kiyoshi. En tant que Sakura, je m’inquiétais constamment pour mon frère Tora-san parce qu’il avait l’habitude de faire des bêtises et de créer des problèmes autour de lui, mais je n’avais que du respect pour Tadokoro-san (le vrai nom de l’acteur), à la fois comme comédien et comme être humain. Il avait l’habitude de m’inviter à déjeuner et de laisser des messages amusants sur mon répondeur. Il me suggérait de nouveaux films intéressants à regarder et m’achetait des vêtements. Pour moi, il était comme un vrai frère. Et quel grand acteur il était ! C’était un tel plaisir de le regarder jouer. Pendant toutes ces années, j’ai aspiré à devenir ce genre d’acteur. Dans les films de Tora-san, il y a toujours une scène où il a une grosse dispute avec sa famille, prend ses affaires et repart sur les routes. Et si Sakura est en colère contre son frère, elle ne peut s’empêcher de s’inquiéter pour lui. Va-t-il s’en sortir ? J’ai adoré jouer ces scènes.
C’est devenu une scène emblématique. Les gens qui arrivent à Shibamata n’ont qu’à sortir de la gare pour voir votre statue de bronze et celle de Tora-san pour la revivre.
B. C. : Oui, qu’il pleuve ou qu’il vente, nous sommes toujours là, toujours figés, toujours en train de nous dire au revoir (rires).
Le premier film de Tora-san est sorti en 1969, quelques mois après la sortie du Journal d’un voleur de Shinjuku (Shinjuku dorobô nikki) d’Ôshima Nagisa. Celui-ci a situé son film au cœur de Tôkyô alors que vous avez choisi la périphérie de la ville. Était-ce intentionnel ? Avez-vous pensé à l’époque que le public était fatigué de l’agitation qui secouait le pays, et que choisir un quartier populaire à Shibamata était un moyen de lui donner un peu de répit dans cette sombre réalité ?
Y. Y. : Tout d’abord, il faut comprendre que nos publics respectifs avaient des goûts très différents. Ôshima avait de nombreux fans parmi les étudiants radicaux et les intellectuels, tandis que mes films s’adressaient aux gens ordinaires, aux ouvriers et aux femmes au foyer. Si je peux faire une comparaison culinaire, les fans d’Ôshima appréciaient les mets raffinés ; les gens qui voyaient mes films mangeaient pour se remplir l’estomac et avaient besoin d’aliments plus basiques et plus substantiels comme les onigiri (boulettes de riz) et la soupe miso. En ce sens, mes films – et la série Tora-san en particulier – s’adressaient davantage au cœur des gens qu’à leur cerveau. Pour répondre à votre question, il est vrai que beaucoup de gens voulaient faire une pause dans la sombre réalité de l’époque, et les films de Tora-san avaient ce pouvoir de guérison. Ils étaient capables de réconforter les spectateurs.
En parlant de lieux de tournage, l’une des caractéristiques de la série est qu’à travers les voyages de Tora-san, vous avez donné beaucoup d’espace à diverses régions du pays. Comment les avez-vous sélectionnées ?
Y. Y. : J’ai régardé de nombreuses photos, films et lu diverses informations. Il m’est aussi arrivé d’entendre parler d’un endroit particulièrement intéressant par d’autres personnes. Lorsque quelque chose me plaisait, je partais en voyage pour le découvrir. Malheureusement, beaucoup de ces endroits ont disparu ou ont changé pour le pire. Ils ont peut-être survécu en tant que sites touristiques, mais ils ont perdu leur charme originel en tant que lieux vivants, où les gens vivaient et travaillaient. Il y a cent ans, le Japon était un pays magnifique. Pendant la période Meiji (1868-1912), les voyageurs étrangers étaient charmés par les lieux et les personnes qu’ils rencontraient. Mais aujourd’hui, je pense qu’il a perdu beaucoup de sa beauté.
Pendant que Tora-san voyageait dans tout le Japon, Sakura-san était coincée chez elle à Shibamata, n’est-ce pas ?
B. C. : Oui, elle ne pouvait que voyager par procuration à travers les récits de son frère. Mais Atsumi-san, dans le rôle de Tora-san, était tellement doué pour décrire les endroits qu’il avait vus qu’écouter ses récits était toujours très amusant. Sakura n’a eu que peu d’occasions de voyager. Une fois, par exemple, elle a dû aller chercher son frère qui était à court d’argent. Je me souviens avoir voyagé en voiture avec d’autres acteurs et avoir passé le temps à chanter en admirant les ginkgos le long de la route.
Baishô-san, dans une interview publiée dans le magazine Sarai en 2006, vous avez déclaré à propos de la série que le tournage pendant toutes ces années s’était apparenté à la réalisation d’un long documentaire.
B. C. : Même Atsumi Kiyoshi pensait la même chose. Très simplement, les épisodes de la série peuvent être considérés – et, dans un sens, le sont véritablement – comme les chapitres d’une très longue histoire. Et même maintenant que la série est terminée, je me retrouve à en parler. En partageant mes souvenirs, je suis transportée à cette époque et je redeviens Sakura. Et pour moi, c’est une excellente chose. Je m’appelle Baishô Chieko mais j’ai un autre moi, Suwa Sakura, et je l’aime et la respecte comme si elle était vraiment moi car c’est une personne merveilleuse. Il fut un temps où je me plaignais du fait que les fans avaient cessé de voir Baishô Chieko ; ils ne faisaient référence à moi qu’en tant que Sakura. Quand Atsumi-san a entendu cela, il m’a grondée ; il m’a dit que je devais en être fière car appeler les acteurs par le nom de leur personnage était une façon de les féliciter. C’était la preuve qu’ils étaient entrés dans l’imaginaire collectif.
En d’autres termes, incarner Sakura pendant si longtemps a eu une grande influence sur votre propre vie, n’est-ce pas ?
B. C. : Oui, en grande partie. Faire ces 50 films a été une expérience d’apprentissage unique. Grâce à Tora-san, j’ai appris beaucoup de choses sur moi-même et sur la façon de regarder les autres. J’ai appris à me mettre à la place des autres. On peut dire que c’était une sorte d’école de la vie pour moi.
Lorsqu’il a été question de tourner un 50e et dernier épisode, quelle a été votre réaction ? Qu’attendiez-vous d’Otoko wa tsurai yo : Okaeri Tora-san (Tora-san, Wish You Were Here, 2019) ?
B. C. : Ma première réaction a été de me dire, qu’est-ce que je suis censée faire à mon âge, après toutes ces années ? (rires) J’étais convaincue que le film de 1995 était le dernier et que j’avais laissé Sakura derrière moi, alors vous pouvez imaginer quelle fut ma surprise. En fin de compte, j’ai été heureuse de retrouver mes vieux amis, mais je dois admettre qu’au début, j’étais très nerveuse sur le plateau. Nous avons tourné la première scène à Shibamata et je pouvais voir la statue de moi-même devant la gare, ce qui était bizarre en soi, tandis que je ne voyais pas Yamada-san, debout comme d’habitude à côté de la caméra, donnant ses instructions. Pendant tout ce temps, je me suis demandée ce que je faisais là !
Yamada-san, la notion de “famille” est évidemment très importante dans la série. C’est un thème qui vous tient particulièrement à cœur. Comment cela se fait-il ?
Y. Y. : En fait, ce n’est pas quelque chose que j’ai recherché initialement. Je n’ai pas commencé avec l’idée de mettre en valeur la famille japonaise – ou la famille en général – dans mes films. C’est venu après, naturellement.
Pensez-vous que la famille de Tora-san, qui est loin d’être une famille typique, incarne finalement le mieux le concept de famille ?
Y. Y. : Il est vrai que les propriétaires de la boutique de dango ne sont pas les parents de Tora-san et de Sakura, et que les personnes qui gravitent autour d’eux ne sont que des voisins. Mais ils font un effort conscient pour être une sorte de famille élargie. Ils rient et pleurent ensemble, se disputent parfois, mais en définitive, ils s’entraident toujours.
En 2019, à l’occasion du 50e anniversaire de la série, des affiches montrant Tora-san immobile au milieu d’une foule en mouvement ont été diffusées avec le message “Alors, êtes-vous heureux maintenant ?”. J’ai l’impression qu’en posant cette question, vous pensiez que les Japonais ne le sont plus et que Tora-san n’est plus là pour les rassurer comme par le passé.
Y. Y. : Je pense effectivement qu’il y a 50 ans, lorsque la série a commencé, les Japonais étaient plus heureux qu’aujourd’hui. Les gens pouvaient se projeter vers un avenir meilleur. Les jeunes étaient également très actifs et énergiques. Si vous travailliez dur, vous étiez assuré d’avoir un emploi stable et un bon revenu. Mais de nos jours, la société japonaise est remplie d’un sentiment d’anxiété. Il y a 50 ans, il y avait encore de la place pour les personnes “étranges” comme Tora-san, mais aujourd’hui la vie est strictement normée et ceux qui ne se conforment pas sont poussés en marge de la société. C’est pourquoi si Tora-san était encore là, il poserait probablement cette question : “Êtes-vous heureux maintenant ?” Je ne veux pas dire que seuls les Japonais sont confrontés à ce problème, mais le fait est que nous devrions faire quelque chose à ce sujet.
Propos recueillis par Gianni Simone & Odaira Namihei