Témoin d’influences diverses, la cuisine d’Okinawa ne manquera pas de ravir les plus gourmets d’entre vous.
On commence à bien connaître la cuisine japonaise en France, aussi bien sa haute gastronomie et ses plats populaires. Mais les cuisines régionales de l’archipel demeurent encore très peu accessibles. Okinawa est l’une des destinations touristiques les plus prisées, mais sa cuisine n’est pas aussi connue qu’elle le devrait. Il y a une époque, en France, où “le régime Okinawa” était à la mode, avec des livres prétendant dévoiler les clefs de la longévité des habitants de l’île. En réalité, ce qui était présenté comme le mode d’alimentation okinawaïen n’avait rien à voir avec la réalité de la marmite. Mais que mangent les Okinawaïens pour de vrai ? Faisons un tour des délices de l’île.
Quelles sont ses spécificités ?
La cuisine reflète l’histoire de l’île. De par sa situation géographique (voir pp. 4-5), la cuisine d’Okinawa est le fruit d’échanges avec plusieurs cultures culinaires. À partir de l’an 1429 et pendant 450 ans, l’île fut un royaume indépendant, appelé Royaume des Ryûkyû. Celui-ci a noué des relations diplomatiques en tant que pays vassal à la fois avec la Chine et le fief de Satsuma (actuel département de Kagoshima) au Japon.
De la cuisine chinoise, Okinawa a hérité l’usage du porc et autres viandes (chèvre, oie), les méthodes de pâtisseries à base de pâte de sésame, de cacahuètes ou d’huile, que l’on trouve encore dans les desserts traditionnels. La cuisine chinoise a également transmis à Okinawa sa philosophie de la cuisine médicinale : nuchigusui, selon laquelle les repas ne sont pas autre chose que des “remèdes de vie” et que la nourriture doit nous soigner et être source de longévité.
Du nord du Japon, les lignes maritimes des bateaux de commerce dits Kitamae-bune, très actives entre le XVIIe et XIXe siècle, descendaient la côte de la mer du Japon de Hokkaidô vers le sud, puis remontaient par la côte Pacifique jusqu’à Ôsaka (voir Zoom Japon n°88, mars 2019). C’est ce commerce côtier qui a introduit l’algue kombu au royaume des Ryûkyû, où elle est devenue depuis l’un des ingrédients majeurs de la cuisine traditionnelle de l’île.
Plus récemment, Okinawa a été sous occupation américaine jusqu’en 1972, et cette période a également laissé sa trace dans les habitudes alimentaires de la population locale. Les boîtes de conserve importées des États-Unis telles le luncheon meat (jambon industriel en boîte) ou le corned-beef occupent désormais une place certaine, ainsi que les plats mexicains comme les tacos, qui ont fait leur entrée pendant cette période, adaptés pour devenir le “Taco-rice” (tacos version riz à la place de la tortilla).
D’ailleurs, aujourd’hui, lorsqu’on parle de cuisine dans l’île d’Okinawa, on distingue deux types de cuisine : Ryûkyû ryôri (la cuisine des Ryûkyû) et Okinawa ryôri (la cuisine d’Okinawa). La première renvoie notamment à la cuisine de l’ancienne cour du royaume des Ryûkyû ainsi qu’aux plats familiaux dont certains proviennent des répertoires de la cuisine royale simplifiée, tandis que la seconde désigne les plats qui ont été adoptés après-guerre.
Quels sont les plats représentatifs ?
Okinawa-soba (ou Suba, Uchinâsuba) : bol de nouilles de blé au bouillon de porc et au bouillon katsuobushi, agrémenté de ciboulette, gingembre mariné, pâté de poissons kamaboko… Chaque île possède sa variante. Bien que soba désigne dans le Japon métropolitain les nouilles de sarrasin, les soba d’Okinawa ne contiennent pas de farine de sarrasin.
Champurû : la sautée au shimadôfu (“tôfu de l’île”, plus ferme que le tôfu japonais et au goût plus présent) et d’autres ingrédients (viande, fu (gluten de farine de blé)) ou des légumes, comme le gôyâ (concombre amer), papayâ (papaye verte), nâbêrâ (courge éponge) ou chikinâ (moutarde brune salée).
Rafutê : viande de porc mijotée avec de la sauce soja, du sucre roux et de l’awamori (voir pp. 18-20), inspirée de la cuisine chinoise dôngpôrou. La cuisine d’Okinawa possède un riche répertoire de plats à base du porc, et les mets comme mimigâ (oreilles du cochon assaisonnées au miso et aux cacahuètes), nakamijiru (bouillon de tripes) ou tebichi (pieds de cochon mijotés) en témoignent. Il existe d’ailleurs à Okinawa une race endémique de cochon, agû, sauvée de l’extinction dans les années 1980.
Chikiagi : appelé Tsukeage à Kagoshima, c’est une friture à base de pâté de poisson, ou de fu.
Gurukun no karaage : friture de poisson local gurukun. Malgré la présence de la mer, la consommation de poissons n’est pas très importante, et souvent, ils sont cuisinés soit en friture ou en “aquapazza” (cuit dans l’eau salée et à l’awamori).
Umibudô : appelé également “caviar vert” ou “raisins de la mer”, il s’agit d’une algue locale, qui ressemble à une grappe de raisin miniature. Se déguste en salade, ou crue avec un peu de vinaigre. L’usage des algues est très fréquent dans l’île : soupe d’âsâ (ulves), sautée de porc et d’algue kombu, ou d’autres algues qui n’existent qu’autour d’Okinawa…
Tôfuyô : tôfu fermenté avec du kôji de riz, du kôji rouge et de l’awamori. Se déguste en petits cubes, souvent pour accompagner les verres d’awamori, de bière ou de shôchû.
Sâtâandagî : beignet sucré. Préparé à base de farine, de sucre, œufs et huile, il fait partie des pâtisseries venues de la Chine.
Chinsukô : biscuits préparés à base de farine de blé, de sucre et de lard.
Ce n’est là qu’une petite partie de la richesse de la cuisine okinawaïenne, qui toutefois démontre déjà la particularité de l’histoire culinaire du pays, très distincte de celle du reste du Japon. Cette diversité, typique des contrées situées au carrefour de plusieurs civilisations, est qualifiée de “culture du champurû” par les Okinawaïens, un plat emblématique, sorte de fricassée de plusieurs ingrédients qui génère un goût varié, riche et profond. Il n’existe pas encore de lieux dédiés à cette cuisine dans l’Hexagone, mais espérons l’arrivée des beaux jours pour pouvoir nous rendre sur place et déguster tous ces délices…
Sekiguchi Ryôko