L’impact de la pandémie et de la politique de fermeture a été plus grand que pendant les deux siècles de fermeture.
Ces deux dernières années ont été mauvaises pour l’économie japonaise, sévèrement touchée par les conséquences de la pandémie de Covid-19. Pour ne donner que quelques exemples, le chiffre d’affaires des grandes chaînes de restaurants du pays a diminué de 48,1 % par rapport à 2019. Selon l’Association japonaise de la restauration (JFSA), à la fin de l’année dernière, il était presque au même niveau qu’en 2020. Par type d’activité, la demande de plats à emporter et de livraisons à domicile, notamment pour la restauration rapide, a augmenté de 1,9 % par rapport à 2020, tandis que pour les restaurants familiaux, elle a ralenti et même diminué de 4,8 %. La JFSA ajoute que la situation a aujourd’hui tendance à se redresser, notamment parce que les pubs et les izakaya (bar japonais) peuvent désormais rester ouverts jusqu’à tard, mais les incertitudes concernant les évolutions futures de la pandémie rendent le marché instable.
Une tendance similaire peut être observée dans le domaine des ventes au détail. Selon l’Association japonaise des grands magasins, les ventes de 190 grands magasins au niveau national, en septembre dernier, ont diminué de 4,3 % par rapport au même mois en 2020, soit un deuxième mois consécutif de baisse. Par produit, les ventes d’articles de luxe tels que les montres et les bijoux ont légèrement dépassé les ventes de 2020. Cependant, les ventes des principaux produits alimentaires ont diminué de 1 % et celles des vêtements ont baissé de 5,6 %.
L’industrie du tourisme a été de loin le secteur de l’économie japonaise le plus durement touché, puisque le nombre de clients ayant fréquenté les hôtels et les auberges traditionnelles (ryokan) au cours de l’année 2021 était environ deux fois moins élevé que celui des trois années précédant la propagation de la pandémie. Selon les données de l’Agence japonaise du tourisme (JTA), en 2021, le nombre d’hôtes ayant utilisé des hôtels et des auberges au Japon s’est élevé à 314,9 millions, soit une baisse de 47,1 % par rapport à 2019. En outre, ce nombre a diminué de 5 % par rapport à 2020, date du début de la propagation du coronavirus. L’industrie du tourisme continue donc de connaître la morosité.
Depuis que le Japon a fermé ses frontières aux touristes venus de l’extérieur, le nombre total d’hôtes étrangers s’est élevé à 4,21 millions, soit une baisse de 96,4 % par rapport à trois ans auparavant et le plus faible depuis 2010, date à laquelle les statistiques ont été recueillies pour la première fois selon la méthode actuelle.
Selon la JTA, l’impact négatif de la pandémie a été particulièrement ressenti dans les régions où l’industrie du tourisme est habituellement florissante. En effet, si l’on regarde le taux de diminution du nombre de nuitées par région, c’est la préfecture d’Okinawa qui a le plus souffert avec une chute de 66,9 % par rapport à 2019. Elle est suivie par la préfecture d’Ôsaka
(moins 61,8 %) et la préfecture de Kyôto (moins 61,7 %).
Si nous comparons la situation actuelle avec celle de la période Edo (1603-1868) au cours de laquelle le pays a été officiellement replié sur lui-même. Bien que le Japon fût alors presque totalement isolé du reste du monde, l’industrie hôtelière du pays était en fait florissante, la demande intérieure étant plus que suffisante pour compenser le manque de visiteurs étrangers. Le shogun avait imposé le système du sankin kôtai qui obligeait tous les daimyô (seigneurs féodaux) du pays à se déplacer périodiquement entre Edo et leurs domaines, passant généralement une année sur deux dans chaque lieu. Grâce à ce système, l’industrie hôtelière a connu un essor considérable, les daimyô et leurs serviteurs séjournant dans les auberges situées le long des routes qu’ils empruntaient pour se rendre à Edo et en revenir. Ces déplacements fréquents encouragèrent également la construction de routes, générant ainsi une activité économique.
Pour faire face à la charge financière que leur imposait le sankin kôtai, les seigneurs vendaient du riz, du poisson et d’autres produits agricoles de leurs domaines sur le marché d’Ôsaka. Cependant, les dépenses nécessaires à la procession vers et depuis Edo, ainsi qu’à l’entretien de leurs résidences dans la capitale japonaise étaient telles qu’ils furent dans l’incapacité financière de se lancer dans des guerres sous le régime Tokugawa.
Le shogunat a tenté de contrôler le commerce, mais dans la seconde moitié de la période Edo, une puissante classe de marchands a émergé à Ôsaka et dans d’autres régions. Leur activité entraîna des fluctuations de prix et une augmentation des troubles sociaux.
Selon les recherches historiques, le produit intérieur brut (PIB) japonais en 1820 était 1,75 fois celui des États-Unis, 0,3 fois celui des Pays-Bas et 2,8 fois celui du Royaume-Uni. La situation s’est détériorée au cours des dernières décennies de la période Edo, et en 1850, le PIB des États-Unis était presque deux fois supérieur à celui du Japon. Cependant, sous le régime Tokugawa, l’Archipel a connu une période de développement économique rapide et l’accumulation de capital qui en a résulté est devenue le moteur de la révolution industrielle qui a suivi la restauration Meiji.
Jean Derome