Le dernier volet de la trilogie sur la capitale japonaise entamée par l’auteur britannique valait la peine d’attendre.
Il aura fallu une douzaine d’années à David Peace pour qu’il mette un point final à sa trilogie consacrée à Tôkyô comme s’il avait voulu ménager le suspens le plus longtemps possible. A l’instar de ses deux précédents opus –Tokyo année zéro et Tokyo ville occupée –, l’écrivain britannique s’est intéressé à sa manière à l’une des affaires criminelles les plus célèbres de l’après-guerre au Japon : l’affaire Shimoyama. Il s’agit de la mort du premier président des chemins de fer nationaux (JNR), Shimoyama Sadanori, dont le corps a été retrouvé démembré après le passage d’une locomotive en 1949.
Le mystère de sa disparition reste entier encore de nos jours, et l’auteur n’a eu aucune difficulté à s’y intéresser dans la mesure où il témoigne du climat très particulier qui régnait au Japon à ce moment-là. Le licenciement de 30 000 employés de la compagnie de chemin de fer avait contribué à faire de son patron une cible parfaite pour des syndicats de gauche très engagés alors que le pays, sous l’impulsion des forces d’occupation américaines, allait se lancer dans une chasse aux “rouges” qui marquera durablement le pays.
Bien que ce soit la thèse du suicide qui ait été privilégiée pour éviter le plus de vagues possibles, la plupart des enquêteurs ont toujours gardé en tête l’hypothèse de l’assassinat. Mais la véritable question reste de savoir qui en aurait été le commanditaire. Comme d’autres avant lui, en particulier Matsumoto Seichô, David Peace estime que cette affaire représente bien plus qu’un fait divers. A ses yeux, elle est représentative de la seconde partie de l’ère Shôwa (1925-1989), autrement dit le Japon qui a émergé pour devenir le pays que l’on connaît aujourd’hui. Et surtout, elle a contribué à porter une longue ombre sur l’histoire du pays. Voilà pourquoi l’auteur a choisi de dérouler son récit sur trois périodes : 1949, pendant l’occupation ; 1964, lorsque Tôkyô accueille pour la première fois les Jeux olympiques ; et 1989, quand l’empereur Hirohito
(Shôwa à titre posthume) est sur le point de disparaître. Chacune d’elles a son propre protagoniste. Il y a d’abord Harry Sweeney, un flic blasé américain originaire du Montana. Ensuite, Murota Hideki, un ancien flic devenu détective privé. Le dernier est un traducteur immigré sur le déclin. Si les deux premiers ont le profil type des enquêteurs tels qu’on les trouve dans bon nombre de romans policiers, le troisième donne au récit de David Peace une perspective nouvelle sans pour autant apporter une réponse à la question fondamentale : Qui a fait le coup ?
Le romancier ne pouvait pas prétendre donner la solution à un mystère sur lequel des dizaines de grandes plumes se sont penchées sans réussir à offrir une explication inattaquable. En revanche, son roman se fonde sur un travail de recherches impressionnant, ce qui contribue à lui donner une grande force. La montre Mickey de l’empereur mourant est un de ces nombreux détails sur lesquels David Peace a construit en partie son histoire dans laquelle le lecteur se laisse entraîner sans résistance. Avec cette dernière partie de sa trilogie tokyoïte, le Britannique dresse un portrait intéressant et prenant du Japon sous un angle pour le moins inattendu.
Odaira Namihei
Références
Tokyo revisitée de David Peace, trad. de l’anglais par Jean-Paul Gratias, Rivages ; coll. Noir, 22 €.