Depuis la privatisation en 1987, JR Hokkaidô n’a pas réussi à sortir la tête de l’eau et son avenir reste incertain.
Q uand, en 1987, les JNR (Chemins de fer nationaux japonais) ont été privatisés, le groupe JR, qui venait de naître, a été divisé en six sociétés : trois étaient basées à Honshû (la plus grande île du Japon) et les autres sur chacune des trois autres îles principales.Cependant, si les trois premières sociétés JR, situées dans des régions fortement peuplées et très développées, ont bien réussi leur mutation, les trois autres ont connu des moments difficiles et luttent encore aujourd’hui pour rester à flot.
JR Hokkaidô, en particulier, a été jusqu’ici constamment dans le rouge. Etant, certes, l’île la plus septentrionale et la plus grande préfecture du Japon, Hokkaidô est loin d’offrir un environnement idéal pour gérer un réseau ferroviaire performant. D’une part, sa population continue de diminuer (sa densité est la plus faible du pays) et tend à se concentrer dans sa ville principale, Sapporo. Par rapport aux autres compagnies du groupe JR, la plupart des lignes ferroviaires passent dans des zones peu peuplées, notamment dans la partie orientale de l’île. De plus, elle dispose d’un réseau routier étendu qui a encouragé la possession de voitures, et la popularité récente des bus longue distance a encore réduit les bénéfices déjà maigres de la société ferroviaire. En outre, la société doit supporter des coûts de maintenance plus élevés en raison du froid extrême et de la neige qui menacent constamment le matériel et les infrastructures pendant les longs hivers rigoureux.
En conséquence, les finances de JR Hokkaidô sont résolument dans le rouge. Un coup d’œil à l’année fiscale qui s’est terminée en avril 2016 montre que, alors que le revenu d’exploitation lié au rail pour les trois principales compagnies JR se situait entre 555,5 milliards de yens pour JR Central et 124,2 milliards de yens pour JR West, JR Hokkaidô était accablée par une perte d’exploitation de 48,2 milliards de yens. JR Kyûshû était également dans le rouge, mais a finalement enregistré un gain d’exploitation total de 5,4 milliards de yens grâce aux bénéfices réalisés par le développement de ses activités non ferroviaires.
Les difficultés de JR Hokkaidô ont été exacerbées par les mauvais résultats du fonds de stabilisation de la gestion mis en place par le gouvernement en 1987 pour compenser les pertes prévues dans les opérations ferroviaires lors de la création de la société. Dans ces conditions, la direction a dû se débarrasser progressivement de plusieurs lignes non rentables et fermer de nombreuses gares sur les lignes restantes. Au 1er avril 2021, l’ancien réseau local de la JNR, qui comptait 21 lignes couvrant un total de 3 176,6 km, ne comptait plus que 14 lignes et 2 372,3 km.
De nombreuses tentatives ont été faites pour résoudre les problèmes structurels du chemin de fer, mais la vérité est que la concurrence des bus longue distance et des voitures est difficile à surmonter. De nombreux habitants peuvent être tristes de la perte d’une ligne particulière, mais cela ne signifie pas qu’ils vont renoncer à la commodité de leurs voitures privées, surtout maintenant que le réseau de voies rapides en constante expansion comprend de nombreux tronçons gratuits.
Depuis la création de JR Hokkaidô, pour contrer les moyens de transport concurrents, la société a essayé d’augmenter ses bénéfices en introduisant de nouveaux wagons et en développant divers produits tels que des billets à prix réduit. Dans le même temps, de nombreux efforts ont été déployés pour réduire les coûts de main-d’œuvre, notamment en augmentant le nombre d’opérations unipersonnelles sur les lignes locales et en externalisant diverses opérations de vente et d’entretien des voies. En conséquence, en 2021, le nombre d’employés a été réduit de moitié, passant de 14 000 à 6 317.
Les réductions de coûts sont peut-être inévitables, mais la forte réduction du personnel pour des lignes nécessitant autant de maintenance, associée à plusieurs cas de mauvaise gestion, s’est retournée contre l’entreprise de manière spectaculaire, entraînant de fréquents accidents et scandales qui ont jeté une ombre sur sa gestion commerciale et celle de sa sécurité. Le 27 mai 2011, par exemple, un déraillement de train et un incendie sur la ligne Sekishô ont fait 39 blessés. Un autre accident avec incendie s’est produit en 2013 sur une autre ligne. Parmi les autres incidents graves, citons les défaillances de la signalisation, l’absence de contrôle du matériel et les conducteurs qui s’endorment au travail en raison de leur épuisement. En effet, des violations répétées en matière d’heures supplémentaires illégales ont été découvertes par la suite, ainsi que l’utilisation de stimulants par des conducteurs surmenés. Au cours de la même période, les cas de suspension ou de retard de service de 30 minutes ou plus étaient environ deux fois plus nombreux que la moyenne des cinq autres compagnies JR.
Après avoir enquêté sur ces cas, le ministre du Territoire, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme a ordonné une amélioration de l’activité. Cependant, JR Hokkaidô a continué à faire la Une des journaux pour de mauvaises raisons : en 2013, un train sur la ligne principale de Muroran a roulé avec le bras d’un passager coincé entre les portes. Puis un train de marchandises a déraillé en raison d’une erreur d’entretien des voies. En novembre 2018, un accident s’est produit dans les locaux de la gare de Shin-Sapporo, sur la ligne Chitose, lorsqu’un poteau de signalisation s’est soudainement effondré et a bloqué plusieurs voies. Enfin, le 7 juin 2021, un véhicule d’entretien des voies a perdu le contrôle en descendant une pente et a continué à rouler sur environ 7 km. On a découvert par la suite que personne n’avait pris soin de vérifier les freins du véhicule.
Cela dit, tout n’est pas sombre pour JR Hokkai-
dô. La préfecture est l’une des destinations touristiques les plus appréciées du Japon. Avant le début de la pandémie, plus de huit millions de touristes ont visité Hokkaidô, dont 2,3 millions en provenance de l’étranger, et le chemin de fer a joué un rôle important en tant que ressource touristique, puisque 30 % des voyageurs japonais hors préfecture et 50 % des touristes étrangers ont utilisé le chemin de fer local pour se déplacer, générant ainsi plus de deux milliards de yens de recettes.
La ligne principale de Sôya est un exemple typique de la manière dont les trains de Hokkaidô
peuvent potentiellement devenir une solide source de revenus. Longue de près de 260 km, cette ligne relie Asahikawa (deuxième ville de l’île avec une population de 300 000 habitants) et Wakkanai, et constitue la ligne ferroviaire la plus septentrionale du Japon. Outre les trains locaux, l’express Sarobetsu fait deux allers-retours par jour et offre des vues spectaculaires sur la campagne. Parmi les destinations touristiques de la ligne Sôya, le zoo d’Asahiyama attire des touristes de tout le pays toute l’année, Pippu est une station de ski réputée et Toyotomi possède de nombreuses sources thermales.
D’autre part, bien que la ligne Sôya couvre la même distance que la ligne principale du Tôkaidô entre Tôkyô et Hamamatsu dans la préfecture de Shizuoka, elle est traitée comme une ligne de transport local et souffre des mêmes problèmes que l’ensemble du système ferroviaire de Hokkaidô. Par exemple, le nombre de passagers pour le transport interurbain, comme les trains express, diminue considérablement. De plus, la plupart des habitants utilisent principalement les trains locaux (par exemple pour se rendre au lycée), mais le dépeuplement progressif de la région fait que l’utilisation des trains est de plus en plus faible.
Si l’on considère le ratio d’exploitation de la ligne Sôya (la somme d’argent nécessaire pour obtenir 100 yens), il est clair qu’elle peut difficilement survivre sans aide extérieure. Idéalement, pour qu’une entreprise soit dans le vert, le ratio d’exploitation devrait être de 100 ou moins. Or, les données de 2018 montrent que la section Nayoro-Wakkanai est de 738 et Asahikawa-Nayoro de 523, ce qui signifie que pour obtenir 100 yens, l’entreprise doit dépenser entre 500 et 700 yens. Il s’agit d’un déficit considérable qui ne peut plus être maintenu. La plupart des gares locales ont moins d’un utilisateur par jour. Il n’est donc pas surprenant que JR Hokkaidô ferme à un rythme accéléré les gares sous-utilisées et non rentables.
Certaines des lignes locales de la préfecture ont récemment été transformées en chemins de fer du troisième secteur, établissant ainsi un partenariat entre les secteurs privé et public. Afin d’attirer les touristes entrants, par exemple, des infrastructures adéquates doivent être
développées, car les voyageurs peuvent difficilement être attirés par un lieu dépourvu d’un accès de transport secondaire entre la gare et les installations touristiques. Le problème est qu’à Hokkaidô, le budget des collectivités locales destiné aux transports publics est inférieur à celui des routes, et il existe peu de mesures d’orientation pour l’utilisation de cet argent.
Au cours des dernières années, de nombreuses personnes ont réfléchi sur les malheurs de la préfecture et sur la façon dont ses chemins de fer peuvent être sauvés. Lors d’une conférence organisée en 2018, le gouverneur de l’époque, Takahashi Harumi, a déclaré qu’il attendait avec impatience un train de luxe comme ceux qui ont eu tant de succès dans d’autres régions japonaises. Il a également déclaré que JR
Hokkaidô devrait suivre l’exemple de JR Kyûshû et diversifier ses bénéfices en investissant dans le développement immobilier.
Le président de JR Hokkaidô, Shimada Osamu, a accueilli favorablement l’idée de créer des trains touristiques, mais il a rappelé que ces trains coûtent très cher tout en ayant une durée de vie limitée. Si l’on ajoute les coûts liés à l’exploitation d’une ligne sûre et sans accident, il devient difficile d’investir dans des trains touristiques. L’un des experts qui a participé à la conférence était Kishi Kunihiro, professeur associé à l’École supérieure d’ingénierie de l’Université de Hokkaidô. Il est aussi le président de l’équipe de travail sur le réseau ferroviaire. Selon lui, si 5,4 millions de personnes à Hokkaidô dépensent 4 000 yens par an, le déficit de JR
Hokkaidô disparaîtra. De nombreux observateurs ont estimé que ce chiffre était irréaliste, non seulement parce que la population totale de la préfecture s’élève aujourd’hui à un peu plus de cinq millions d’habitants, mais aussi parce que la proposition de Kishi ne marcherait que si l’on parvenait à convaincre davantage de personnes de passer de la voiture au train. D’après le recensement du trafic routier publié par le ministère du Territoire, des Infrastructures, des Transports et du Tourisme, si 10 % des utilisateurs de voitures privées entre de grandes villes comme Sapporo et Asahikawa passent au train, on peut s’attendre à ce que les recettes annuelles augmentent d’environ cinq milliards de yens.
Le dernier intervenant de la conférence 2018 était Torizuka Akira, ancien président de la compagnie ferroviaire Isumi et président de l’association pour la création de lignes locales gourmandes. Il a critiqué les communautés vivant le long des lignes, estimant que le nettoyage des gares et la tonte de l’herbe ne devraient pas être la préoccupation du personnel de JR. Il a souligné que lorsqu’il était président de la compagnie Isumi, dans la préfecture de Chiba, ils ont introduit des trains-restaurants et des trains rappelant les chemins de fer nationaux pour attirer les fans et les touristes. En outre, bien que la compagnie manquât de ressources financières, les résidents locaux le long de la ligne ont montré un réel intérêt pour la survie de la ligne en s’engageant dans des activités bénévoles telles que le nettoyage des gares elles-mêmes.
Le professeur Kishi a dévoilé les recommandations préparées par son groupe d’étude pour améliorer la situation financière de JR Hokkaidô.
Il a déclaré qu’en l’absence d’investissements privés dans les zones rurales, les collectivités locales doivent investir dans les infrastructures. Cependant, comme elles disposent elles-mêmes de ressources limitées, un soutien plus important est nécessaire de la part du gouvernement national.
Dans un article que Kishi Kunihiro a écrit pour le site Nippon.com, il a rappelé que “les finances de JR Hokkaidô sont dans un état périlleux en raison des grands changements dans l’environnement social et du faible taux de rendement de son fonds de stabilisation de la gestion. Bien qu’elle soit organisée comme une société par actions, comme une société commerciale ordinaire, elle a un statut semi-gouvernemental spécial ; le gouvernement national est fortement impliqué dans sa gestion et doit jouer un rôle central dans son redressement.”
Plus précisément, son groupe d’étude a proposé cinq domaines d’intervention : (a) soutien à la dépense la plus importante que JR Hokkaidô supporte, à savoir l’entretien de ses voies en raison de la part élevée du trafic de marchandises ; (b) réduction de la charge d’entretien du tunnel de Seikan reliant Hokkaidô et Honshû ; (c) mesures pour faire face au renouvellement des infrastructures ferroviaires vieillissantes ; (d) soutien stratégique aux efforts visant à augmenter les revenus ; et (e) mesures financières pour la période à partir de l’exercice 2019, lorsque le soutien du gouvernement national est censé prendre fin et que la société devra commencer à rembourser les prêts sans intérêt qu’elle a reçus.
“JR Hokkaidô doit également améliorer le confort des usagers par des mesures telles que l’ajustement des horaires pour optimiser les correspondances avec les bus et les autres types de transport en commun et l’amélioration des services dans les gares et à bord”, a-t-il ajouté. Il existe une opinion profondément ancrée à Hokkaidô selon laquelle il sera impossible de résoudre les problèmes du système ferroviaire de la préfecture dans le cadre actuel, surtout si l’on considère les récents mauvais résultats du fonds de stabilisation créé en 1987, et que le gouvernement national devrait apporter un soutien fondamental à JR Hokkaidô.
“Toutefois, le gouvernement national continue d’affirmer qu’il a déjà apporté un soutien considérable à JR Hokkaidô et que la prochaine étape consiste à laisser les collectivités locales prendre l’initiative. Un élément sous-jacent à cette position est la conviction que les lignes régulières de bus peuvent fournir le minimum requis de transport public local et qu’il n’est donc pas nécessaire de donner la priorité aux chemins de fer”, note l’universitaire.
Quoi qu’il arrive dans les prochaines années, il est clair que JR Hokkaidô pourra difficilement résoudre ses problèmes sans un effort concerté entre la société et les responsables locaux et nationaux.
G. S.